Erwan Davoux est spécialiste des relations internationales. Diplômé de l’IEP de Paris et de l’INALCO, ancien chargé de mission à la Présidence de la République (Francophonie, Monde arabe), il a conseillé plusieurs personnalités politiques de droite à l’international.
L’heure n’est plus à parler du déclin mais plutôt du « déclassement »[1] voire de disparition de la France dans les grandes affaires du Monde. L’attaque lancée par le Hamas à l’encontre d’Israël a illustré, une fois de plus, la relégation de la France au Proche-Orient. Notre pays ne joue aucun rôle tangible dans la sortie de crise car il ne s’investit plus, depuis plusieurs années, sur ce dossier. Sa seule politique aura été d’entériner une situation de fait, le droit du plus fort.
Des communiqués compassionnels, des changements incessants de stratégie qui ont, fort logiquement, suscité une réaction inhabituelle et justifiée de la plupart de nos ambassadeurs en poste dans la région, l’approbation donnée à de petites initiatives diplomatiques prises par d’autres : en somme, le rôle d’une puissance européenne moyenne qui n’a plus aucune prise sur les affaires du monde. Emmanuel Macron s’est rendu tardivement au Proche-Orient. Benjamin Netanyahou a annoncé la venue du Président français et du Premier ministre néerlandais dans un même tweet. Le président français y a commis une grosse bourde en évoquant une coalition anti-Hamas sur le modèle de celle anti-Daesch. Sa proposition de seconde tournée dans la foulée de le COP de Dubaï a fait long feu : personne n’y a vu d’intérêt. Il est bien retourné en Jordanie le 22 décembre. Le Président a tenu à faire remarquer que, cette fois, le roi Abdallah II venait l’accueillir à l’aéroport. Mais encore ?
S’en tenir à une aide humanitaire ne peut remplacer une politique d’influence et de pression. Bien au contraire, l’humanitaire seul ne fait qu’accompagner le plus fort dans sa politique impitoyable tout en se donnant bonne conscience.
Sous Jacques Chirac, le rôle de la France était incontournable dans le dénouement des crises au Proche-Orient
- Lors de l’opération « Raisins de la colère » menée par Israël au Liban (avril 1996), le Président français avait décidé d’envoyer immédiatement son ministre des Affaires étrangères sur place avec mission « d’obtenir la cessation des combats et de chercher des arrangements qui garantissent la sécurité des populations de part et d’autre de la frontière libanaise ». Malgré l’opposition américaine, la France participera grandement à la sortie de crise et sera associée à la surveillance du « cessez-le-feu.
- Durant le conflit israélo-libanais de l’été 2006, c’est encore avec le concours de la France que sera adoptée la Résolution 1701 du conseil de sécurité des Nations unies (11 août 2006) qui mettra un terme provisoire au conflit.
- En 2002-2003, l’action diplomatique de la France, soutenue par une grande majorité de la communauté internationale (et notamment l’Allemagne) parvenait à mettre hors-la-loi la guerre voulue par les Etats-Unis en Irak et la vision prémonitoire de Jacques Chirac sur la déstabilisation globale de la région qui ne manquerait pas de s’en suivre fut validée : puissance iranienne se déployant sans contrepoids, exacerbation des violences entre sunnites et chiites…
Au Maghreb, l’attente impatiente de l’après-Macron
Que l’on se souvienne que Jacques Chirac était aimé et respecté dans chacun des trois pays. Maroc, Algérie, Tunisie (avec le premier Nicolas Sarkozy a su maintenir un partenariat d’excellence) attendent impatiemment que la page Macron soit tournée. Emmanuel Macron réalise l’exploit particulier d’être brouillé avec les trois pays simultanément alors même qu’il avait effectué un déplacement au Maroc trois semaines après sa prise de fonction et qu’il faisait de l’établissement d’une relation forte et apaisée avec l’Algérie, une priorité. Aujourd’hui, Maroc, Algérie, Tunisie attendent impatiemment que la page Macron soit tournée. Les quelques signes de déglaciation doivent être interprétés pour ce qu’ils sont : protocolaires pour le Maroc qui a choisi d’autres options diplomatiques, un concours de lenteur avec l’Algérie qui n’aboutira à rien de tangible avant la fin du quinquennat. La visite d’Etat du Président Tebboune en France devient l’arlésienne et n’en finit plus d’être reportée. Un certain amateurisme dans la préparation du déplacement est perceptible.
La France en net recul au Liban
Les gesticulations du Président Macron après la dramatique explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020 n’auront eu aucun effet. Le Président français se pensant comme le grand libérateur qui allait être à l’initiative d’un nouveau pacte politique dans ce pays n’aura, en réalité, abouti à aucun résultat tangible et étalé sa méconnaissance des us et coutumes de ce pays pourtant si proche de la France. Victime privilégiée de du désordre sécuritaire qui l’entoure, le pays ne cesse de s’enfoncer dans la crise. La France de Jacques Chirac était un alliant sûr pour assurer la stabilité et la souveraineté du Liban.
Comment en est-on arrivé aujourd’hui à cette déroute diplomatique particulièrement rapide et marquée dans le monde arabe ou la voix de la France n’est plus entendue et, pire encore, attendue ?
François Hollande et Emmanuel Macron ont tué la politique arabe de la France, le constat est là. Associer François Hollande et Emmanuel Macron peut paraître étrange tant les hommes sont différents. Emmanuel Macron est un esprit brillant, mal conseillé et aux convictions peu marquées. François Hollande un idéologue qui aura mené une politique étrangère partisane.
Néanmoins, dans ce domaine, Emmanuel Macron n’aura été qu’un continuateur dans l’échec cuisant de François Hollande.
Quels facteurs propres aux deux hommes sont entrés en jeu ?
L’inexpérience ne pardonne pas en politique étrangère
Citons, tout d’abord, l’inexpérience totale qui est la leur dans le domaine international lorsqu’ils arrivent au pouvoir. Or la politique étrangère ne s’invente pas. Il ne suffit pas d’avaler des notes, de publier des communiqués convenus et d’assister à des sommets internationaux protocolaires pour peser sur les affaires du monde. Elle nécessite un apprentissage long qui s’acquiert au fil des déplacement à l’étranger (François Hollande n’avait, par exemple, jamais été en Chine avant son arrivée au pouvoir) qui permet de développer des réseaux, de connaitre intimement ses homologues, de s’imprégner d’une sensibilité, d’apprivoiser les cultures étrangères et ainsi d’être en mesure par une politique étrangère audacieuse, particulière, avant-gardiste, suscitant de la sympathie de permettre à la France de résoudre la quadrature du cercle : Comment un pays de taille moyenne dont la population est à faible à l’échelle du globe peut-il peser sur les affaires du monde ? La réponse est en adoptant une grande politique étrangère de grandeur. C’est la phrase célèbre du Général de Gaulle « « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. »
Inexpérience, atlantisme et tropisme militaire
D’autres facteurs ont joué également dans la continuité entre les deux hommes : ce sont les mêmes diplomates qui sont globalement à la manœuvre, marqués par leur attachement partisan au PS, plus précisément à sa faction atlantistes et toujours imprégnée de l’idéologie néoconservatrice, proches de Jean-Yves Le Drian (et pour certains de Laurent Fabius) et appartenant pour beaucoup à la promotion « Léopold Sedar Senghor » de l’ENA, celle du Président. Un sésame synonyme d’accélérateur de carrière, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. L’expérience est un atout considérable dans la sphère diplomatique, Emmanuel Macron a souvent tendance à l’oublier. Ces diplomates ont en commun leur tropisme militaire, la conviction que la résolution des crises est nécessairement et principalement militaire. La politique n’est que seconde. Leur alliance revendiquée avec les Etats-Unis est en réalité une inféodation qui s’est manifestée de manière éclatante lorsque Hollande et Le Drian se montraient prêts à frapper la Syrie, en août 2013, car la fameuse « ligne rouge », l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien, avait été franchie. Avant que Barack Obama ne leur signifie que leur position avait peu d’importance.
Une diplomatie partisane
L’autre travers de François Hollande aura été de n’envisager la politique étrangère qu’à travers des préjugés, à l’aune de l’internationale socialiste dont il fut un membre influent. Ce tropisme partisan l’aura conduit à plusieurs bévues :
- Le soutien marqué apporté, en Tunisie, à la Troïka (2011-2014) noyautée par les islamistes, car son ami Mustapha Ben Jaffar, membre de l’Internationale socialiste, en faisait partie.
- Une rupture d’équilibre idéologique au Maghreb consistant à afficher une priorité algérienne revendiquée. Mais qui n’aura pas résister aux blagues douteuses qui sont la marque de François Hollande. A propos du déplacement de Manuel Valls en Algérie, il déclara lors du dîner du CRIF en décembre 2013 « Manuel Valls revient sain et sauf, c’est déjà beaucoup ». Quelques rires, un moment d’autosatisfaction, mais une crédibilité diplomatique ruinée.
- Au Proche-Orient, François Hollande a tout bonnement mis fin à l’influence française traditionnellement forte dans cette région. Sa prise de position totalement déséquilibrée le 9 juillet 2014 dans le cadre du conflit israélo-palestinien aura marqué les esprits malgré les multiples rétropédalages qu’il tentera. En effet, lors de la riposte d’Israël jugée « disproportionnée » à des tirs de roquettes du Hamas, il n’aura pas un mot pour les très nombreuses victimes civiles palestiniennes (1500) et se contentera d’afficher un soutien marqué à l’Etat hébreu. Là encore le tropisme pro-israélien hérité de l’alliance ancienne entre le PS et le parti travailliste a joué. Manifestement, François Hollande ne s’est pas rendu compte que le parti travailliste avait disparu et que ce quitus était donné à un homme aussi peu recommandable que Benyamin Netanyahu. La politique française fondée sur le respect du droit international était abandonnée.
Le “en même temps”, catastrophique en politique étrangère
Emmanuel Macron n’aura pas su afficher des objectifs et les hiérarchiser en politique étrangère. Il ne cessera d’afficher des positions qu’il contredira très rapidement, selon son intuition fluctuante ou son dernier visiteur. De la « carte blanche » donnée à Netanyahou pour « venger » le 7 octobre 2003 à l’exhortation faite à Israël, sur la BBC quelques jours plus tard, de « cesser » les bombardements car « De facto, aujourd’hui des civils sont bombardés. Ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées, sont bombardés et tués », il n’y a « aucune justification ». De la célébration de la fête de « Hanouka » à l’Elysée interprétée nécessairement comme un soutien à Israël en cette période particulière, au vote favorable sur la Résolution du Conseil de sécurité appelant à un « cessez-le-feu » immédiat à Gaza, il se sera passé moins de 48h. On cherche en vain un fil conducteur. Un acte ne gomme pas un autre. Il ruine simplement la crédibilité.
A moins d’être un Machiavel et de le manier avec une infinie précision, ce qui est loin d’être le cas, le « en même temps » s’avère calamiteux en politique étrangère.
Le résultat est là : en quelques années le recul de l’influence de la France dans le monde arabe est colossal. Et, dans le même temps, la France n’est pas un partenaire privilégié par et pour Israël. Le naufrage est complet et la perspective d’une remise à flot lointaine tant il est plus facile de rompre un lien de confiance, de ruiner une influence que de les restaurer. La France n’étant plus une grande puissance, ce n’est pas dans le rapport de force mais en suscitant à nouveau de la sympathie, en étant fidèle à son histoire et à ses valeurs, qu’elle retrouvera une prise sur la région. Lorsque l’on est membre du Conseil de Sécurité faire respecter le droit international et le droit humanitaire doit être une boussole et non une variable d’ajustement.
[1] « Le déclassement français » titre de l’excellent ouvrage de Christian Chesnot et Georges Malbrunot.