Imagine-t-on le Général de Gaulle diriger la France sans majorité ? Lui qui décida de quitter le pouvoir après un référendum purement consultatif. Imagine-t-on le Général de Gaulle aller lire un discours de politique générale devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles quelques jours avant que son Premier ministre ne fasse sa déclaration de politique générale à l’Assemblée Nationale ? Le Général de Gaulle, non. Mais Emmanuel Macron oui.
Le retour du régime d’Assemblées contre lequel s’est construit la Vème République
Le système majoritaire consubstantiel à la Vème République est bafoué depuis juin 2002. Emmanuel Macron n’a tenu aucun compte des élections législatives qui ont été un désaveu; il n’a pas entendu le message, pas changé de Premier ministre pour désigner une personnalité plus susceptible de rallier la droite. Il a décidé sciemment de gouverner en étant minoritaire. Ce faisant, il a réintroduit (avec la complicité de l’opposition) le régime d’Assemblées. Dans un système fonctionnant normalement, cet entêtement antidémocratique aurait trouvé une issue simple et fatale : le vote d’une motion de censure. Néanmoins, l’opposition semblant craindre un retour devant les électeurs et la possible sanction de son incapacité à se régénérer, lui a prêté son concours pour survivre. Ainsi s’est établi un régime dans lequel les parlementaires de droite refusent de faire tomber le gouvernement en contrepartie de certaines inflexions, négociées de manière obscure sur tel ou tel projet de loi. C’est ce dispositif qui a en partie volé en éclat lors de la motion de rejet préalable au projet de loi immigration. Mais sans grandes conséquences. Le régime d’assemblées est de donc de retour, c’est le contraire même de l’essence de la Vème République !
Les Français, eux, sont les dindons de la farce. On les somme de ne pas s’abstenir lors de chaque élection mais on ne tient pas compte de leur vote et on négocie sans les consulter.
Face à un climat de défiance sans précédent dont les émeutes du mois de juin ont manifesté l’évidence (Pierre Brochand rappelait fort justement que « rien decomparable, 100 à 200 000 émeutiers, ne s’etait produit dans les villes françaises depuis la Révolution de 1789 ») sans qu’aucune leçon majeure ne soit tirée, il paraît légitime de s’interroger sur la responsabilité de nos institutions et surtout des titulaires de la fonction présidentielle.
La fonction présidentielle dénaturée et désacralisée….
Le quinquennat ne correspond pas à l’esprit de la Vème République, le Général de Gaulle l’exprimera très clairement lors de sa fameuse conférence de presse du 31 janvier 1964.
« Alors, moi je crois qu’il ne faut pas que dans la France, telle qu’elle est, le Président soit élu en même temps que les députés. Ce qui mêlerait sa désignation à la lutte des partis, ce qui altèrerait le caractère et abrègerait la durée de sa fonction ».
C’est par un référendum proposé par Jacques Chirac en 2000 qu’il a été adopté. Ce dernier avait fait part de ses grandes réticences. Mais en période de cohabitation et pris en tenaille entre Giscard et Jospin qui y étaient très favorables, il s’y résignera.
Le quinquennat a très clairement désacralisé la fonction présidentielle : les Français élisent désormais non un homme d’Etat qui a une vision du pays et du cap à tenir mais un candidat qui présente un programme souvent technocratique, catalogue de mesures empilées qui traitent de tous les sujets, sans âme. Et ils attendent naturellement de celui devenu Président l’application de ce programme (qui est plutôt du ressort du Premier ministre) mais sans pouvoir exercer la moindre pression sur le nouvel élu puisque la Constitution ne permet pas de mettre en cause sa responsabilité politique.
Le comportement personnel et parfois les propos des derniers titulaires de la fonction renforçant encore cette désacralisation : invectives, escapades en scooters et autres festivités déplacées font du Président un homme comme les autres alors qu’il dispose de plus de pouvoir que tout autre. La Vème République proscrit, par essence, le « Président normal ».
D’autres facteurs plus circonstanciels et récents ont joué dans le même sens : la fin de cette singularité française qu’était la droite gaullienne, la fin de la bipolarisation autour des partis de gouvernement, les influences massives des puissances étrangères dans le débat public, des lobbies…
Mais plus omnipotente que jamais….
Une certitude : le Chef de l’Etat est bien la clé de voûte de nos Institutions. Son rôle a été défini lors de la même conférence de presse du Général de Gaulle : « Il n’y a d’autorité civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui (…) ». Ce qui signifie que le bon fonctionnement des institutions ne repose que sur un homme. La Constitution l’indique clairement : « Il veille, par son arbitrage, au respect de la Constitution. Il assure le fonctionnement normal des pouvoirs publics et la continuité de l’État ».
Que faire lorsque le Président n’est pas à la hauteur de la fonction ? Que faire lorsqu’il rabaisse son Premier ministre ?
Il n’est désormais plus possible de laisser agir sans aucun contrepouvoir celui qui s’empare de l’Elysée pendant au moins cinq ans et qui dirige et gouverne de manière solitaire, selon son bon plaisir avec tout la force que lui procurent nos institutions. C’est cette dichotomie entre pouvoir absolu et irresponsabilité totale que les Français ne supporte plus. D’autant qu’ils n’ont plus désormais à la tête de l’Etat des personnalités gravées dans le marbre de l’Histoire mais simplement des personnalités politiques, certes talentueuses, mais qui ont une fâcheuse tendance à confondre l’intérêt général avec leur intérêt propre ou leur propre réélection.
Imagine-ton sérieusement une autre démocratie européenne qui aurait permis à François Hollande dont l’échec a été patent dès le début du mandat et qui n’avait plus d’autorité sur son propre parti, de rester à la tête de l’Etat durant cinq ans sans coup férir ? Dans ce type de situation, au Royaume-Uni, le parti majoritaire renverse en interne son propre chef pour désigner au poste de Premier Ministre une nouvelle personnalité. En Allemagne, le scenario aurait été identique, soit au sein du parti majoritaire soit au Bundestag en cas de grande coalition.
Que faire quand le Président de la République ne laisse aucune autonomie à ses Premiers ministres ? Faire du Premier ministre le directeur de cabinet du Président de la République (subordonné naturellement au Secrétaire Général de l’Elysée) est une déformation majeure qui aboutit à mettre en jeu la responsabilité du Premier ministre sur des décisions qu’il n’a pas prises. Un simple fusible et absolument pas le chef de la majorité parlementaire.
« Le Président est naturellement le seul détenteur de l’autorité de l’Etat. Mais justement, la nature, l’étendue, la durée de sa fonction, exigent qu’il ne soit pas absorbé par la conjoncture politique, parlementaire, économique, etc. Cela, c’est le lot, d’ailleurs aussi méritoire que complexe et qu’essentiel du Premier Ministre français », déclarait le Général de Gaulle, toujours au cours de cette même conférence de presse.
Il est très clair que le Président de la République n’est pas en charge du quotidien des Français, de mettre en œuvre telle ou telle mesure à caractère économique ou social mais qu’il est l’homme en charge l’essentiel : la destinée de la France. Il n’est pas attendu de lui qu’il soit compétent mais qu’il incarne la France, toute son histoire, sa diversité, sa richesse, ses fondements. Depuis que le Premier Ministre a été ramené au rang de simple de directeur de cabinet du Président de la République, l’esprit des Institutions est bafoué. Jacques Chirac aura été le dernier Président à avoir une conception gaullienne des Institutions, conforme à l’esprit de la Vème République.
Le principal critère retenu par Emmanuel Macron pour choisir son Premier ministre est l’absence de poids politique originel pour pouvoir le modeler, le museler et lui dicter sa conduite. Néanmoins, souvent la créature échappe à son créateur, la fonction faisant l’homme (ou la femme). Dès lors, la rupture est programmée.
La Vème République a fait la preuve de sa solidité, de sa stabilité, elle a survécu aux alternances politiques, aux cohabitations. Contrairement à ce que beaucoup ont pensé ou dénoncé, elle n’a pas été faite sur mesure pour le Général de Gaulle. Nous étions sur le point de croire que l’histoire constitutionnelle si turbulente de notre « cher et vieux pays » avait trouvé un terme. La Vème République était le régime d’équilibre idéal auquel nous aspirions depuis si longtemps. Une fois de plus, le génie du Général de Gaulle s’était exprimé et avait ramené la France dans le droit chemin, malgré les Français turbulents et si aptes à se diviser.
Mais les crises majeures que nous traversons nous rappellent qu’en réalité, une condition préliminaire doit être remplie pour que la Vème République fonctionne: que ce soit un Homme d’Etat ou même un Homme d’exception qui soit à la tête de la France et qui use à bon escient du pouvoir massif que lui confère ces Institutions. Qu’il sache être un arbitre au-dessus de la mêlée, l’homme de la Nation, de l’autorité de l’Etat et non simplement un homme politique talentueux. Longtemps, la France a eu la chance d’avoir des Présidents d’exception, sachant utiliser le formidable pouvoir, la formidable puissance que leur procure les Institutions de la Vème République. Tel n’est plus le cas. Il devient urgent de réformer nos Institutions pour les adapter au goût du jour et aux profils des titulaires de la fonction suprême qui entendent avant tout conserver le pouvoir avec le soutien peuple ou sans ce dernier s’il se montre récalcitrant : fin du quinquennat pour rétablir le septennat, encadrement plus stricte du 49.3, renversement du gouvernement à la majorité simple…Les pistes sont nombreuses. Mais la réponse ne peut certainement pas être dans les remaniements ministériels cosmétiques qui se succèdent et sont plus l’occasion de découvrir les sortants que d’infléchir une ligne politique. Etre ministre du Général de Gaulle était un titre. Etre ministre d’Emmanuel Macon c’est souvent être un anonyme. Pour que la démocratie fonctionne, les élites doivent être identifiées, respectées (et donc respectables) et non dénigrées et corrompues dans l’imaginaire collectif.