Le 7 octobre, choc géopolitique plus que choc de civilisations

par Erwan Davoux
13 minutes lire

Erwan Davoux est spécialiste des relations internationales. Diplômé de l’IEP de Paris et de l’INALCO, ancien chargé de mission à la Présidence de la République (Francophonie, Monde arabe), il a conseillé plusieurs personnalités politiques de droite à l’international.

Le Hamas a changé de nature et s’est renforcé pendant que Netanyahu regardait ailleurs !

Ce n’est pas tant l’attaque lancée par le Hamas, le 7 octobre, qui est surprenante mais sa puissance, sa coordination, son exécution maîtrisée et sa cruauté.  Depuis le retrait de la Bande de Gaza en 2005, environ 6 000 roquettes ont visé Israël. Elles ont tué 28 personnes et en ont blessé des centaines en 18 ans. La bande de Gaza a, chaque fois, subi des représailles disproportionnées de la part d’Israël (par exemple 1500 morts en 2014). Ce qui ne fait guère de doutes, c’est que le mouvement terroriste qu’est devenu le Hamas a reçu l’aide d’une ou de puissances étrangères pour arriver à un tel niveau de nuisance opérationnelle dans l’action. Rappelons-le, ce n’est que relativement récemment que la Hamas a été reconnu comme « organisation terroriste ». L’existence d’une branche politique, version palestinienne des Frères Musulmans et d’une branche militaire distinctes avait conduit de nombreux Etat à hésiter sur la qualification. Netanyahou n’a pas vu le Hamas changer de nature et de dimension et il porte, à ce titre, une responsabilité écrasante dans le massacre des Juifs par le Hamas et le massacre des civils palestiniens par l’armée israélienne qui n’en finit pas. Il a du sang juif et du sang arabe sur les mains. Qui a permis au Hamas de changer de dimension ?

Le régime iranien vient naturellement à l’esprit. Seul Etat à continuer à nier le droit à l’existence d’Israël, parvenu au seuil nucléaire, régime de plus en plus contesté de l’intérieur autant de facteurs qui peuvent accréditer cette hypothèse. Néanmoins deux réserves existent dans le même temps : la méfiance traditionnellement forte entre chiites et sunnites a-t-elle été bien surmontée pour défier l’ennemi commun ? Si l’objectif était de porter un coup fatal à Israël, pourquoi le bras armé de l’Iran dans la région, le Hezbollah, n’a pas été actionné dans le même temps ? En effet, la retenue initiale du Hezbollah est un fait troublant alors que son entrée dans le processus guerrier aurait abouti à embraser la région. Quelles en sont la ou les raisons ?  

Un autre régime a tout intérêt à détourner l’attention d’une guerre impériale dont il a pris l’initiative, la Russie. Le dossier ukrainien a été un temps relégué et n’est désormais plus le seul à monopoliser l’attention.

Une réaction disproportionnée, s’affranchissant de toute règle, qui risque de nuire plus à Israël qu’au Hamas.

La réaction d’Israël est totalement disproportionnée. Une régression par rapport à la loi du talion est contraire à la Torah qui mentionne par trois fois « œil pour œil, dent pour dent », c’est-à-dire la proportionnalité et une invitation à éviter la vengeance lorsque c’est possible. Elle ne peut aboutir qu’à une chose : réduire à néant, non pas le Hamas, mais la bande de Gaza. En effet, ce mouvement terroriste a désormais pris trop d’ampleur (avec le soutien d’Israël à ses débuts afin d’affaiblir l’Autorité Palestinienne) pour être complétement anéanti. Affaibli considérablement très certainement, mais en capacité de se reconstruire tant que le processus de paix sera au point mort. Seule une marginalisation politique entraînera la disparition du Hamas, à condition que les Palestiniens retrouvent un leader capable de réunir les différentes factions et d’incarner la cause palestinienne.

L’action terrifiante de l’armée israélienne qui ne touche pas seulement des civils palestiniens mais aussi des personnels de l’ONU, des humanitaires, des journalistes, la passivité totale d’une communauté internationale à l’indignation sélective et incapable de faire faire respecter le droit international et humanitaire auront des conséquences : la fabrique à terroristes va tourner à plein régime. Puisqu’une vie palestinienne ne vaut rien aux yeux de tous, qui stoppera les candidats au « martyre » ? L’Etat d’Israël voit son image considérable dégradée auprès des opinions publiques mondiales, notamment aux Etats-Unis.

La responsabilité et la culpabilité des Européens dans la déportation des Juifs et la Shoah ne sera jamais lavée par un soutien inconditionnel apporté à Israël. Les Arabes, eux, n’ont aucune responsabilité dans cette page indélébile de l’histoire de l’Humanité.

Le risque d’un embrasement de la région

Désormais, l’entrée en action du Hezbollah, sous une forme ou une autre, suite à l’assassinat du général Seyed Razi Mousavi au sud de Damas, le 25 décembre et à celui de Saleh Al-Arouri, dans la banlieue sud de Beyrouth le 2 janvier, est plus que probable. Le gouvernement Netanyahou porterait la principale responsabilité d’une extension du conflit si elle devait survenir.

La paralysie du Conseil de Sécurité, l’absence d’initiative d’envergure, les positions contradictoires « droit d’Israël à se défendre sans limites » et dans le même temps des « appels à épargner les vies civiles palestiniennes » sans jamais faire pression ou parvenir à faire pression sur Netanyahou manifestent une impuissance coupable.

L’Europe a démontré une fois de plus qu’elle n’aurait jamais de politique étrangère commune.

Les Etats-Unis sont tenus d’apporter un soutien stratégique à Israël pour contrecarrer la puissance iranienne (qu’ils ont eux-mêmes créée en abattant le régime irakien qui lui faisait face) et mettre en garde la Russie contre toute initiative. Mais la relation affective entre Israël et les Etats-Unis est largement émoussée. Le côté affectif a quasiment disparu.

Les pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël et, plus encore, ceux qui s’apprêtaient à le faire sont embarrassés. La longue insertion d’Israël dans son environnement régional va marquer un coup d’arrêt.

Les seuls gagnants sont la Russie, l’Iran et la Turquie. Ergodan est le seul à avoir adopté une attitude ferme (contrairement à beaucoup d’Etats arabes), entretenant ainsi son rêve de recréer plus ou moins l’Empire ottoman, en redonnant une connotation religieuse à ce conflit qui n’en avait pas à ses origines, en faisant de l’appartenance à la même religion un ciment.

Voilà bien longtemps que tous les anciens chefs des services de renseignements israéliens incitent Netanyahu à régler de manière honorable (les termes sont connus) la question palestinienne pour se concentrer sur la vraie menace, celle de la république islamique d’Iran. En vain…

Le Hamas a, lui, atteint son objectif : remettre la question palestinienne au centre du débat, au prix d’un massacre.

Aucune puissance ne semble en mesure d’avoir assez d’influence auprès des protagonistes pour stopper le cercle infernal qui se met en place.

La « guerre des civilisations » ? Des autoritaires contre les démocrates ? Une vaste fumisterie

Israël « Etat démocratique, avant-garde de l’Occident » contre la « barbarie islamiste », avant-garde de la « Démocratie » contre les « Empires autoritaires » seuls peuvent tomber dans le panneau ceux qui n’ont pas noté l’évolution préoccupante de l’Etat d’Israël depuis une trentaine d’années. L’immigration russe massive pour développer les colonies et tuer le processus de paix, l’émancipation totale et assumée des règles du droit international, la volonté de rabaisser les garde-fous démocratiques, la disparation d’une vie politique bipartisane sont autant de faits troublants. Seule demeure l’élection, très loin de garantir la démocratie, l’Histoire l’a hélas, maintes fois prouvé.

Plus encore, la position d’Israël vis-vis des Arméniens est criminelle : une contribution militaire décisive apportée au dictateur azerbaidjanais Aliyev dans le nettoyage ethnique au Haut-Karabagh, alors que l’Arménie, berceau du christianisme, est menacée.  Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Durant la période 2016-2020, Israël a fourni 69% des armements vendus à l’Azerbaïdjan ayant conduit à la seconde guerre du Haut-Karabakh. Ses industriels ont fourni à Bakou leurs systèmes d’armes les plus avancés (missiles antichars, systèmes de défense aérienne). Mais c’est surtout dans le domaine des drones que la coopération israélo-azérie a été la plus poussée. Quelques mois avant la guerre du Haut-Karabakh de 2020, on estimait que l’Azerbaïdjan disposait de près de 120 drones tactiques et de 500 drones kamikazes, la grande majorité d’entre eux étant israéliens contre une petite minorité turque.

Et ce n’est pas tout.  Le deal est global : A Jérusalem-Est, des colons armés, soutenus par les forces de sécurité israéliennes, tentent d’occuper près de 25 % du quartier arménien, une « menace existentielle » pour une communauté pluriséculaire. Ceux qui voient dans le conflit israélo-palestinien une alliance entre Chrétiens et Juifs contre les « barbares » Musulmans sont au degré O de la réflexion. Israël de Netanyahu balaie tout ce qui n’est pas sioniste révisionniste/religieux.

Il est donc pour le moins curieux de voir certaines personnalités politiques se positionner à la fois à l’avant-garde de la défense des Arméniens et d’Israël sans prendre conscience de la contradiction majeure d’une telle attitude. Si un conflit de plus grande ampleur que la guerre russo-ukrainienne devait survenir, entre démocratie occidentales et empires autoritaires, le choix d’Israël serait loin d’être évident contrairement à ce que pensent ses laudateurs européens. Chacun sait que la relation entre Netanyahou et Poutine est solide.

Enfin, pour ceux qui voudrait faire de l’arabe ou du musulman (la confusion règne chez certains) la figue du terroriste par essence, rappelons que nombre d’actes terroristes commis dans les années 70, l’ont été par des palestiniens chrétiens

La dénaturation de l’Etat d’Israël entamée par Netanyahu l’éloigne du camp démocratique

La mort du parti travailliste, vendu par Ehoud Barak contre une place au gouvernement, parti qui a fondé l’Etat d’Israël et la volonté revendiquée, dans le même temps, par la droite et l’extrême droite israélienne qui lui a succédé de faire d’Israël non plus un Etat-Nation israélien mais un Etat-nation Juif, est une dénaturation de l’Etat d’Israël, contraire au projet de ses pères fondateurs et qui l’éloigne de l’Occident. Adepte du grand Israël, Netanyahou sait indubitablement conquérir et conserver, le pouvoir (une fin en soi) quel qu’en soit le prix ou les compromissions. Gouverner aujourd’hui avec ceux qui ont permis l’assassinat d’Itzhak Rabin ne lui pose aucun problème de conscience. Dans quelle démocratie européenne un ministre suggérerait-il d’employer l’arme atomique sur Gaza ? Un gouvernement qui comprend une Ministre déléguée au cabinet du Premier ministre chargée de l’Identité nationale juive ? C’est à dire de rabaisser la composante arabe originelle soit plus de 20% de la population ? Une Ministre des Implantations et des Missions nationales ? C’est-à-dire de coloniser/voler des territoires aux palestiniens grâce à des incitations financières ? Faisant fi du droit international et des communiqués (il est vrai très convenus et répétitifs) de la plupart des chancelleries ? Se contenter de prendre part à des voyages de propagande peut donner une vision quelque peu biaisée de ce qu’est devenu Israël sous Netanyahou

Pour eux, Netanyahu est un « menteur » qui n’a jamais voulu la Paix.

Deux présidents français aux approches différentes sur le conflit israélo-palestinien seront arrivés à la même conclusion sur son absence totale de fiabilité. Jacques Chirac lui déclara de but en blanc lors de l’un de leur premier entretien « je ne crois pas un mot qui sort de votre bouche, toute votre politique consiste à provoquer les Palestiniens ». Quant à Nicolas Sarkozy, arrivé au pouvoir avec une image très pro-israélienne, il dira (en off) à Barack Obama que : « Netanyahu était un menteur et qu’il ne pouvait plus le supporter ».  

Bien évidemment son maintien au pouvoir qu’il s’efforcera d’obtenir par tous les moyens en rejetant la responsabilité du 7 octobre sur d’autres et en prolongeant indéfiniment la guerre, serait catastrophique. Aux Israéliens de manifester leur vitalité pour se débarrasser du plus mauvais Chef de Gouvernement depuis la création de l’Etat d’Israël quel que soit le point de vue : priorité donnée à la sécurité d’Israël dans un environnement hostile ou agir sur cet environnement pour mieux l’y insérer. Il aura échoué sur tous les tableaux. Le bilan est là, Netanyahou aura fait d’Israël un Etat vulnérable.

Il est naturellement trop tôt pour tirer des conséquences définitives sur l’après 7 octobre. Aujourd’hui, seule l’action compte. Faire respecter le droit international et humanitaire. Réaffirmer sans cesse qu’une vie humaine en vaut une autre. Et faire prévaloir la raison sur les extrémistes des deux camps qui veulent donner avant tout une dimension religieuse à un conflit nationaliste de terres.  Combattre l’hydre antisémite en refusant l’assimilation d’Israël aux communautés juives de par le monde. L’antisémitisme est un délit ou crime. Mais critiquer la politique de l’Etat d’Israël est parfaitement légitime. L’oukase de Netanyahou selon laquelle le critiquer ou critiquer Israël revient à être antisémite ne peut prendre qu’auprès d’esprits conditionnés.

Vous aimerez aussi

Geopolitics.fr traite de l’actualité et analyse les questions politiques, internationales et de défense dans une perspective gaullo-chiraquienne et dans une démarche participative.

Newsletter

Abonnez-vous à ma newsletter pour de nouveaux articles de blog, des conseils et de nouvelles photos. Restons informés !

Dernières News

@2024 – All Right Reserved. Site réalisé par  Aum Web
Voulez-vous vraiment déverrouiller cet article ?
Restant à déverrouiller : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?