Ou la chape de plomb qui s’est abattue sur les milieux universitaires français concernant le conflit israélo-palestinien.
Article 11 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi”.
Par « Nicomède », Universitaire
Le silence-radio en France, du moins au début de l’intervention aérienne et terrestre israélienne (Opération “Sabre de fer”), d’une grande partie de la classe médiatico-politique (à quelques exceptions notables), sur les massacres et un possible « génocide » commis à Gaza (il appartiendra à la Cour Internationale de Justice de qualifier comme tel ou pas), sur la violence des colons en Cisjordanie s’est accompagné de celle, imposée cette fois, au monde de l’enseignement et de la recherche. En effet, par courrier, la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, a enjoint, dès le 9 octobre 2023, aux présidents d’établissements d’enseignement supérieur de “signaler et sanctionner” toute prise de position “indécente”, entendez dans le contexte, “tout soutien à la cause palestinienne”[2]. Dans le même temps, l’interdiction générale de toute manifestation pro-palestinienne était décrétée par le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au motif qu’elles constitueraient nécessairement un soutien au mouvement terroriste Hamas (signalons que de telles manifestations ont eu lieu un peu partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis et au Royaume-Uni).
Si, depuis, le très lourd bilan humain à Gaza et la persistance de la colonisation organisée en Cisjordanie ont poussé le gouvernement français et certains médias à rééquilibrer leurs positions et à dénoncer les actions du gouvernement Netanyahou, les chercheurs et enseignants, eux, sont toujours astreints à un “devoir de réserve”, alors même que leur parole est plus que jamais nécessaire pour éclairer les débats. Car, dans la réalité, l’argument de “la sécurité d’Israël et son droit à la défense” a été dévoyé pour permettre à l’une des parties à ce conflit de s’exprimer davantage que l’autre. Si les dérapages verbaux pro-Hamas ont été logiquement sanctionnés, il est peu de dire que des propos virulents niant les droits des Palestiniens et leur dignité humaine, ne l’ont pas été, eux.
C’est ce cadre peu impartial qui semble donc avoir, au départ, régi la prise de parole et/ou de position au sein des chercheurs, ceux connus pour leurs sympathies pro-israélienne ayant moins de scrupules à exprimer leur position. La retenue est de mise pour le reste de la communauté scientifique, la pression gouvernementale exercée sur les chefs d’établissements et les tutelles scientifiques, les cas de délation de collègues (2 au moins recensés) ayant instauré un climat de prudence, voir de peur. Le risque d’être pointé du doigt, voir d’être confronté à l’accusation d’antisémitisme, véritables pistolet paralysant, a anesthésié toute forme de débat et réduit la liberté des travaux scientifiques, dans les cas des spécialités ayant un rapport avec la question palestinienne, au moins. Un chercheur à Paris, qui a préféré garder l’anonymat, témoigne d’une lourde atmosphère au sein de son institution dont témoignent la forme et le fond des discussions au sujet des atteintes au Droit international et aux Droits de l’Homme dans les territoires occupés palestiniens : le cadre estimé coercitif dessiné par le courrier de Sylvie Retailleau mais également les postures médiatico-politiques déclinées à longueur de journée depuis le début de l’Opération “Sabre de fer” ont fini, poursuit-il, par rendre très sensible tout avis pouvant être considéré comme allant dans le sens de la dénonciation des crimes israéliens. Cette autre universitaire évoquait même une atmosphère de “maccarthisme à la française qui ne dit pas son nom”, relevant au passage que la parole universitaire est bien plus libre aux Etats-Unis, finalement.
Les écoles employant l’intersectionnalité comme méthode de recherche sont stigmatisées et présentées comme opposées, par principe, à la politique israélienne. Dans les faits, on peut constater in fine que seuls les universitaires et chercheurs de nationalité israélienne ou de confession juive s’autorisent à donner franchement et librement leurs avis précieux sur la question, leur nationalité ou leur religion leur offrant la protection nécessaire face à d’éventuelles accusations d’antisémitisme. Certains, le font sans aucune concession pour le gouvernement Netanyahou, d’autres soutiennent son action. Peu importe in fine. La sphère universitaire est actuellement muselée en France alors que dans ces circonstances tragiques, la parole des chercheurs aurait bien plus d’importance que celle de beaucoup de politiques qui prennent des positions tranchées en toute méconnaissance de cause !
[1] Titre d’un ouvrage d’Alain Finkielkraut.
[2] Chacun sait qu’il existe déjà un arsenal législatif adéquat permettant de condamner l’apologie du terrorisme, le racisme, l’antisémitisme, ou les pratiques discriminatoires.