Clémenceau disait de la France qu’elle est une terre fertile, car là où l’on plante un fonctionnaire on récolte un impôt. La France de ces dernières années où tout s’est dégradé à une vitesse absolument stupéfiante lui donne, hélas, cruellement raison.
Depuis la montée en puissance du Rassemblement National, Emmanuel Macron qui de 2017 à 2022 était En Marche avant d’entamer une Renaissance, à la faveur de son second quinquennat, a découvert la classe moyenne.
De la France « qui se lève tôt » à celle « qui travaille », tous les poncifs de la communication politique pour les nuls sont dans les éléments de langage de l’Exécutif et des supplétifs de la majorité relative, pour s’attirer les faveurs de plus d’un Français sur deux. Une stratégie électorale aussi sensée que respectable, quand on court après le couple Le Pen-Bardella. À travers cette course à l’échalote, c’est à la peur du déclassement social que le Président, comme celle qui aspire à le remplacer, tentent de répondre.
Pour autant s’ils ont le même objectif, la perception de leurs attentions qu’en ont les concernés, elle, n’est pas la même et le décalage dans les intentions de vote qui tombent à 6 mois des Européennes en est l’illustration criante.
Le camp présidentiel a enfin compris que le Français moyen est celui qui « gagne trop pour être aidé ». Ils en déduisent, encouragé en cela par tous les moutons du cirque médiatique, qu’il suffit « de poser le diagnostic » pour être compris. Hélas, la « classe moyenne » n’a pas attendu la prise de conscience de son existence par Emmanuel Macron, pour sentir que tout n’allait pas bien dans la Startup nation.
Cette France qui gagne donc trop pour être aidée est aussi celle qui est la plus pressurée de prélèvements en tous genres. L’impôt sur le revenu qu’elle est bien souvent la seule à payer puisque simplement une petite moitié des Français sont « éligibles » à cette ponction, n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il convient aussi de lui ajouter les 35 milliards de taxes sur les carburants nécessaires pour aller travailler quand on n’a pas la chance de bénéficier d’un RER pour ce faire en ayant, au passage, le privilège de pouvoir être joyeusement contaminé par les virus saisonniers.
Une fois au travail, c’est près de 60 % des sommes que débourse l’employeur du Français moyen qui sont retenues par l’État pour payer les « services publics et le bouclier social que le monde entier nous envie » (mais pas trop quand même). Et c’est justement là que commence le gros hiatus avec la France qui gagne trop pour être aidée. Le « consentement à l’impôt » l’un des piliers de la démocratie est devenu un concept fictif. Où l’on constate que l’abus de 49.3 est dangereux pour la santé d’un Peuple qui se cherche et dont les représentants ne sont plus écoutés…
Elle ne demande pas à être assistée, cette France, elle a même, assez majoritairement, ce concept en horreur. Elle veut juste en avoir pour son argent et le compte n’y est pas, mais alors pas du tout !
Plus de 12 millions de nos compatriotes n’ont pas de médecin traitant, dont 2 millions de malades chroniques, ceux que la poésie propre aux rapports des ARS désigne sous le vocable de « personnes atteintes d’affections longue durée ». Quand, faute d’autre option, ils se rendent à l’hôpital, ils entrent dans la Cour des Miracles, patientent des heures en se voyant reproché, par un personnel, à raison épuisé, ou des politiciens qui ont réponse à tout, sans jamais avoir été dans leur situation, d’être venu pour rien engorger les Urgences, car leur pathologie était bénigne et aurait dû être soignée par un médecin « de ville » (comprendre un généraliste) qui n’existe plus, puisque l’on refuse depuis 40 ans d’en former en nombre suffisant…
Si par hasard son cas relève de l’hospitalisation, s’il s’agit, par exemple d’extraire un calcul rénal, le délai d’intervention est de trois mois, mais l’hôpital public « comprend parfaitement » que son patient se tourne vers le privé (trop aimable) qui, lui, pourra résoudre le problème moyennant de coûteux dépassement d’honoraires. Moralité, le Français moyen a payé par des prélèvements colossaux et obligatoires sur son salaire, un service qui ne lui a pas été rendu et a dû s’acquitter, sur ses économies après impôts, d’une intervention qui, si elle n’était pas vitale, ne pouvait être différée. On comprend dans ces conditions que tout concoure à ce que le Français moyen trouve le Président Macron irrésistible quand il lui explique que son forfait médicament va doubler.
Ces aberrations se retrouvent dans tous les domaines : école, sécurité, justice, transports, audiovisuel… Le citoyen contribuable est essoré pour des services qui ne lui sont rendus, au mieux, que très partiellement et très rarement avec le sourire, car ceux qui, en bout de chaîne sont supposés le délivrer sont trop peu nombreux pour le faire, la bureaucratie ayant multiplié, au passage, les comptables intermédiaires destinés à s’assurer que ces « services » restent « cadrés »… Nous vivons dans le royaume d’Ubu. Clémenceau disait de la France qu’elle est une terre fertile, car là où l’on plante un fonctionnaire on récolte un impôt. La France de ces dernières années où tout s’est dégradé à une vitesse absolument stupéfiante lui donne, hélas, cruellement raison.
Toujours plus d’impôts pour toujours moins de services rendus au public, voilà ce qui exaspère « la France qui se lève tôt », au grand étonnement des marcheurs d’hier et « Born again » du jour. Le RN a senti cette exaspération et surfe allégrement sur cette lame de fond du mécontentement populaire, en instillant le fait que les plus aidés — ceux pour lesquels cette majorité de moins en moins silencieuse paye — n’ont rejoint que trop récemment le pays et qu’il suffirait de restreindre leurs droits pour que tout s’arrange. C’est aussi simpliste que faux, tant le mal est profond, mais en attendant c’est diablement efficace pour un parti qui aspire à sa dédiabolisation. Et il faudra plus que les indignations convenues du Président de la République (comme s’il n’avait pas lui-même une responsabilité écrasante) en conférence de presse pour enrayer cette dynamique.
Aggripa” est titulaire d’un troisième cycle en géopolitique de l’ENS. Il exerce depuis plus de trente ans des fonctions de direction au service des élus, ce qui en fait un observateur averti de la vie politique française et de la marche du monde.