Le Maroc n’a jamais renoncé à son attirance séculaire pour l’Afrique. Déjà au XVIe siècle, Le sultan Ahmed Al-Mansour, surnommé Ad Dahbi, ” Le doré ” avait repoussé les limites de l’empire chérifien jusqu’à l’actuel Mali et au fleuve Niger. Le roi Hassan II agissait sur le continent de façon plus policée, de concert avec la France. Aujourd’hui la vocation africaniste du Maroc est incontournable, tandis que les turbulences que rencontre la France d’Emmanuel Macron dans la région sont bien réelles. Le “pacte” franco-marocain est-il toujours d’actualité sur ces territoires ?
Le Maroc avance ses pions sur l’échiquier africain. La stratégie royale a choisi un mode d’action pour le moins original, souvent qualifié de “tiers-mondisme” positif. Il s’agit d’un nouveau concept de coopération basé sur des accords “sud-sud”. Dans ce sens, le Royaume a des atouts, dont une religion d’état partagée par la moitié de l’Afrique de l’Ouest. C’est là un pas non négligeable vers un vrai leadership de cœur. Les grands patrons marocains sont de la partie depuis le début. En 2018, à l’occasion des 70 ans du Patronat marocain, la patronne de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc), Miriem Bensaleh-Chaqroun, nous confiait que ” Le mot d’ordre de la relation sud-sud demeure la découverte de partenaires locaux avec lesquels nous pouvons établir une chaîne de valeurs continentales et une véritable diplomatie économique. Nous nous attachons à développer ces alliances, non en donneurs de leçons, mais en partenaires réels.”
Un braconnage sur les “terres” françaises ?
Il est clair que la France est désormais en concurrence avec le Maroc sur les terres subsahariennes. L’Elysée pense que l’alerte est suffisamment importante pour ouvrir avec le Maroc “un dialogue particulier sur les sujets africains”. Selon l’impérissable principe qu’il vaut mieux un partenaire qu’un concurrent, la France soutient officiellement les entreprises marocaines dans leur conquête du Continent, sachant qu’il s’agit pour le Royaume d’un défi de taille quant à sa capacité entrepreneuriale et financière plutôt limitée face à la redoutable Chine, l’Afrique du sud, et l’Algérie, qui n’hésitent pas, eux, à mettre les moyens nécessaires au ralentissement des efforts marocains.
Malgré les difficultés et selon le World Investment Report 2019, la progression des acteurs économiques du royaume sur le continent s’intensifie : “Les entreprises marocaines poursuivent leur implantation en Afrique de l’Ouest, avec en première cible la côte d’ivoire, marché fructueux d’opportunités qui concentre le quart des investissements directs du Royaume hors frontière.” Les chiffres avancés intéressent particulièrement la France qui surveille de près l’offensive marocaine. Déjà en 2015, celle-ci était significative. Cette année-là, le rapport de l’Assemblée nationale française sur la Côte d’Ivoire, signalait que ” le Maroc y avait décroché le titre de premier investisseur étranger avec 22 % des agréments délivrés par le Centre de promotion des investissements d’Abidjan, contre 16% pour la France”. La nouvelle concurrence bat donc son plein. Une réalité formulée aujourd’hui sans langue de bois par les patrons français qui reconnaissent une entrée remarquable du royaume dans l’économie ivoirienne. Pour ceux-ci, il est urgent de conserver la main mise tricolore sur les marchés importants et préserver l’influence exercée localement. Il leur faudra désormais compter sur les efforts de séduction déployés par l’Elysée qui, aujourd’hui, ne ménage pas sa peine.
Tandis que la présence française est contestée en Afrique…
Du côté d’Emmanuel Macron, après plusieurs maladresses et un ton jugé “condescendant” qui froissent les Africains, le Président a fort à faire pour rétablir la confiance. Il lui faut rapidement réévaluer sa politique locale et changer sa perception de la région. Les spécialistes insistent sur la volonté de la France de s’allier avec le Maroc sur cet épineux dossier africain : “Une priorité stratégique” confirmait à Rabat le ministre français du Commerce extérieur, rappelant l’ambition commune qui réunit les deux états sur le sujet, sans oublier pour autant d’égratigner au passage les progrès marocains. En effet, selon un rapport officiel français publié en 2020, ” Rabat a multiplié ces dernières années les actions diplomatiques en vue de renforcer sa présence économique en Afrique mais ses échanges avec les pays africains restent encore faibles.” Une façon comme une autre pour le président Macron de relativiser ses propres échecs politiques dans la région. Mais il y a plus urgent : freiner la Chine sur le continent, titiller aussi la Russie qui gagne du terrain et qui sait si bien éviter les ingérences dans les politiques nationales, contrairement à la France qui se mêle un peu trop souvent des affaires politiques locales. C’est un fait : ça gronde sur le continent. L’éditorialiste Amyne Asmlal dans le quotidien Al Akhbar, confirme le malaise : “ Jour après jour, la France perd progressivement ce qui lui reste encore en termes d’influence en Afrique. L’ancien colonisateur fait aujourd’hui face à un sentiment antifrançais manifeste. L’attitude hautaine, et c’est le moins que l’on puisse dire, de l’actuel président Emmanuel Macron n’arrange rien à cette situation. Il ne fait qu’attiser davantage les réactions anti-françaises par ses actions provocatrices et son usage d’un langage aux relents colonialistes aujourd’hui désuet”. Point de non retour ? Non, heureusement. Emmanuel Macron réagit et appelle à un radical changement de logiciel, plaidant pour le passage d’une « logique d’aide à celle d’investissement solidaire et partenarial ». La presse internationale rebondit alors sur le thème : Macron a exhorté les entreprises tricolores à aller « se battre » pour cette « terre de compétition » qu’est devenu le continent africain. « Je ne défendrai plus les entreprises qui ne sont pas prêtes à se battre », a-t-il lancé, appelant à « un réveil du monde économique français ». Puis, « Si des nouveaux partenaires s’installent et prennent des positions qui étaient avant les nôtres, c’est justement parce qu’ils prennent les pays africains au sérieux », lance le président. Clin d’œil au Maroc ? Peut-être. Difficile de trancher sur la réalité des ambitions respectives. Concurrence ou alliance franco-marocaine en Afrique sub-saharienne ? Les deux, mon Capitaine…
Valérie Morales Attias est résidente au Maroc, journaliste et auteur, elle est enseignante à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris.