La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ?

par Valerie Morales Attias
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L’eau douce sur la planète se fait de plus en plus rare. Les Bouleversements climatiques et la mauvaise gestion de la ressource en “or bleu”, pourraient bien entraîner de nombreux problèmes à l’échelle mondiale. Creusement des inégalités entre les populations, développement des conflits géopolitiques, fortes perturbations économiques, dont l’imminente privatisation des ressources en eau, seraient le triste programme de notre avenir commun, si rien ne change.  

En 2019, les chiffres de l’ONU alertaient déjà sur un contexte de plus en plus préoccupant. D’ici 2030, les experts affirment désormais que le manque d’eau affectera près de 40 % de la population mondiale. Toujours selon l’ONU, “les métropoles du Cap, de Karachi, de Casablanca, sont déjà menacées par ce que l’on appelle « le jour 0 », celui ou l’eau ne coulera plus du robinet… De même que Mexico, Madrid, Barcelone, Berlin, Rome et Londres à plus long terme.” Il s’agit d’une alerte sérieuse contre le stress hydrique propre aux métropoles qui dépenseraient trop de ressources en eau sans renouvellement des stocks. L’agriculture, très exigeante en eau, représente le secteur le plus problématique pour la gestion de cette ressource. C’est là un inconvénient majeur qui touche particulièrement les pays en développement comme le Maroc, où l’agriculture demeure une activité essentielle. Les populations les plus pauvres de ces contrées en seraient déjà les premières victimes.

La situation au Maroc

Confronté à une forte pression due au changement climatique, le Royaume se trouve aujourd’hui dans une situation préoccupante. Un rapport récent du ministère de l’Equipement et de l’Eau, a rappelé l’importance de faire évoluer les perspectives face à une sécheresse qui devrait augmenter progressivement au Maroc jusqu’en 2050, sous l’effet d’une baisse de la pluviométrie (-11 %) et d’une augmentation des températures (+1,3 °C). Heureusement, le Maroc n’est pas démuni face aux dérèglements naturels. Pionnier dans le domaine de la prévention, tous les efforts sont menés depuis plusieurs décennies. La lutte contre la sécheresse se traduit ici essentiellement en termes de construction de barrages, d’exploration de nouveaux gisements d’eau souterraine, de traitement des eaux usées en vue de leur réutilisation et de la préservation des nappes phréatiques. Enfin, plusieurs fois reportée, la construction de stations de dessalement de l’eau devrait être imminente. En effet, le projet figure actuellement parmi les objectifs prioritaires du ministre. “Grâce à ses deux façades maritimes, le Maroc a fait des progrès significatifs dans le domaine des énergies renouvelables, tant solaires qu’éoliennes, qui devront permettre de dessaler l’eau à moindre coût”, explique celui-ci.

 Face à la sécheresse, l’innovation et les nouvelles technologies ont donc un rôle important à jouer. Le Maroc s’est distingué avec le développement de son projet Al-Ghait, consistant en la modification artificielle du temps par ensemencement des nuages. Le savoir-faire du Maroc en la matière est reconnu. Ainsi, les experts marocains sont souvent sollicités en Afrique subsaharienne, notamment dans les pays qui souffrent de périodes longues de sécheresse (Sénégal, Mauritanie, Guinée, etc). Le Burkina Faso a été le premier pays à avoir bénéficié de l’appui du Maroc pour mener des opérations d’ensemencement des nuages. Pour rappel : « La méthode consiste à injecter dans le nuage des noyaux de condensation artificiels, expliquait Abdalah Mokssit, expert météo. Mais cette technique, ne fonctionne que dans certaines conditions : “Il faut des nuages, bien sûr, mais surtout un certain type de nuages. Les nuages qui nous intéressent sont ceux qui sont déjà assez lourds pour être susceptibles de précipiter. Il ne suffit pas qu’il y ait des nuages dans le ciel pour pratiquer l’insémination”. Pour enrichir l’arsenal contre la sécheresse, le projet le plus prometteur pour l’avenir réside dans la construction d’usines de dessalement de l’eau, projet qui pourrait valoriser un Maroc disposant de 3 500 km de côtes à exploiter. C’est là une projection qui s’inscrit probablement dans une volonté plus vaste d’indépendance globale face à la “récolte” de l’eau, à l’heure où celle-ci devient la source mondiale de toutes les convoitises.

Les tensions géopolitiques s’accroissent

En 2010, l’ONU déclarait comme droit fondamental, l’accès à l’eau potable : « Le droit à une eau potable propre et de qualité et à des installations sanitaires est un droit de l’homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie ». L’or bleu étant devenu une denrée rare, il était urgent de permettre un meilleur arbitrage des politiques de gestion de l’eau dans le monde. Pourtant, ces dernières années n’ont pas manqué d’inquiéter les spécialistes qui ont noté un net accroissement des litiges et tensions liés à la répartition de cette ressource naturelle. De son côté, le rapport mondial des Nations Unies rapporte une hausse significative du nombre de conflits géopolitiques liés à l’eau. Les spécialistes saluent néanmoins le seul et bel exemple d’accord historique, autour du fleuve Sénégal. Le fleuve est géré par un organisme indépendant, et les 4 pays riverains (Guinée, Sénégal, Mali et Mauritanie) sont donc copropriétaires des infrastructures, et partagent à la fois les coûts et les bénéfices selon une clé de répartition. Cette structure indépendante permet de maintenir une gestion harmonieuse de la ressource du fleuve, répartie sur les différents pays frontaliers. Hors cette exception heureuse, l’enjeu reste de taille : il s’agira à l’avenir de désamorcer les discordes de plus en plus nombreuses autour d’une eau précieuse, devenue un instrument de pouvoir aux mains de pays mieux dotés que d’autres. Hélas, la situation ne devrait pas s’arranger de sitôt. D’ici à 2030, la demande en eau pourrait être supérieure de 40 % aux disponibilités de la planète, selon les projections de la Banque mondiale pour laquelle il faut néanmoins relativiser les causes de cette forte pénurie à venir. En effet, selon cette instance, “les problèmes de développement ou de conflits suscités par les difficultés d’accès à l’eau sont des problèmes de gestion de ressource, davantage que de disponibilité de la ressource. Ces problèmes prennent des formes diverses selon les situations en question : il peut s’agir de manque d’investissement en infrastructures pour améliorer l’accès à l’eau, de manque de coopération dans la gestion transfrontalière des ressources en eau, de gaspillages dans les utilisations diverses de la ressource.”

Les marchés financiers de l’or bleu

Désormais les nouvelles théories capitalistiques vont bon train. C’est Mike Young, un économiste australien qui est le pionnier de la théorie de la vente de l’eau sur les marchés. L’eau douce se faisant de plus en rare, l’économiste insiste : “Cette ressource doit être gérée de la manière la plus optimale possible. La seule façon de réguler cette optimalité se trouve sur les marchés. Les marchés permettent ainsi d’agir sur la consommation d’eau, tout en favorisant le marché concurrentiel ». Aujourd’hui, l’introduction en bourse de contrats à courts termes sur l’eau est déjà à l’œuvre et laisse augurer d’un futur effrayant, basé sur la privatisation de l’eau comme nouvel or noir du 21ème siècle. Certains économistes se battent malgré tout pour la gratuité et contre la marchandisation de cette ressource essentielle, arguant du fait que les ressources planétaires sont limitées et donc que la croissance, telle qu’elle est mise en avant aujourd’hui, est menacée.

 C’est en novembre 2002 que la Cour pénale internationale (CPI) défend officiellement le droit à l’eau pour tous. Déjà compétente à l’égard des crimes contre l’humanité et des graves violations du droit international humanitaire, l’instance impose enfin un nouveau statut à l’eau douce, reconnue comme l’un des droits de l’homme fondamentaux. Cela est inscrit dans l’Observation générale sur le droit à l’eau, adopté par le Pacte relatif aux droits économiques et culturels (CESCR), lui-même ratifié par 145 pays. Pourtant, certaines contrées ont bravé ces bonnes résolutions. L’eau est déjà devenue un produit financier au Royaume-Uni, en Australie, ou encore aux États-Unis. Il n’est hélas plus du tout certain que demain, l’eau reste ce « patrimoine intouchable de l’humanité » que nous espérons tous de nos vœux.

Valérie Morales Attias est résidente au Maroc, journaliste et auteur, elle est enseignante à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris 

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