France-Algérie : dossiers non classés

par Valerie Morales Attias
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Simples les rapports entre la France et l’Algérie ? Jamais. Il s’agit là d’une complexité subtile entre rapprochements et dysfonctionnements profonds.

Trois tentatives avortées de traités de réconciliation ces vingt dernières années

Tout D’abord, le traité d’amitié, fondé sur un partenariat d’exception en mars 2003 entre Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika. Alors que Jacques Chirac, par son parcours et ses prises de positions à l’international, était considéré comme l’interlocuteur idoine par les autorités algériennes, le traité tombe à l’eau ! La raison réside dans la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, plus précisément, l’ « amendement Vanneste » sur le « rôle positif de la colonisation ». Jamais la réconciliation n’avait été et ne sera aussi proche !

L’élection de Nicolas Sarkozy et son tropisme pro-marocain affiché modifie la donne. A l’été 2008,  les relations s’enveniment à la suite de sombres histoires autour d’un diplomate algérien soupçonné de participation dans l’assassinat de l’opposant franco-algérien Ali Mecili. Affaire qui se conclura par un non-lieu.

Autre traité manqué, celui de François Hollande avec Abdelaziz Bouteflika signé en 2012, ” la déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération”. Nouvel échec alors que par volonté de prendre le contre-pied de Nicolas Sarkozy, François Hollande, avait clairement, lui, misé sur l’Algérie au détriment du Maroc. Les fameuses boutades, souvent déplacées de François Hollande font leur œuvre. Ainsi lors d’une réception du CRIF, il déclara le 16 décembre 2013, évoquant Manuel Valls « Monsieur le ministre de l’Intérieur qui va nous quitter peut-être pour aller en Algérie … [Puis, se rattrapant] Il en revient sain et sauf, c’est déjà beaucoup !” Ou comment se tirer une balle dans le pied et saper le travail des diplomates.

Emmanuel Macron où la volonté maintes fois réaffirmée d’aller de l’avant

Avant même d’être élu, Emmanuel Macron offre des gages à l’Algérie, dans une déclaration impromptue (dont aucun diplomate français n’avait connaissance au préalable) selon laquelle la colonisation « Est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. ». Déclaration qu’il nuancera, une fois élu.

Dès son premier mandat, Emmanuel Macron tente un rapprochement. Il s’agissait alors d’initiatives directes du Président français, qui selon un député des Français de l’étranger, Frédéric Petit, n’ont pas produit les fruits escomptés : « il est difficile de ne pas constater la permanence des blocages de la relation d’État à État. » confiait alors ce dernier à Farid Alila, journaliste au magazine Jeune Afrique : “Les rapports entre la France et l’Algérie paraissent tout aussi foisonnants sur le plan humain que dysfonctionnels sur le plan politique », expliquait l’élu, fort désillusionné. L’apaisement recherché par la France semble toujours improbable : « Toute approche strictement institutionnelle semble buter irrémédiablement, en Algérie, sur des obstacles sans cesse renouvelés, qui trouvent leur origine dans l’organisation même de l’État algérien », notait le même rapporteur, médusé de constater l’approche de ses interlocuteurs en Algérie qui déclaraient sans façons que les accords signés entre les deux pays “n’engageaient pas le partenaire algérien”.

Un semblant de dégel qui reste largement à confirmer

Emmanuel Macron ne lâche pourtant pas l’affaire. Nouvelle proposition en août 2022. Réélu pour un second mandat, le Président s’adresse cette fois à A.Tebboune en faveur “d’une déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé.” Paris cherche toujours l’apaisement. La réponse d’Alger est cinglante : ” Concernant le Président français, je ne lui répondrai pas. Il libre de vendre la marchandise qu’il veut dans son pays, mais moi j’ai été élu par le peuple algérien et je ne reconnais que le peuple algérien.” Boum. Les dossiers sensibles s’accumulent : Celui de la mémoire et de l’histoire coloniale est significatif. Selon les observateurs français le sujet est toujours brûlant et l’hostilité plutôt ancrée. Ils soulignent également la précarité des perspectives de coopération entre les deux états, entretenue, entre autres, par “la puissante famille révolutionnaire algérienne”.

Enfin, après certains actes de rapprochement symboliques, dont la réalisation du « Rapport Stora » portant sur les questions mémorielles de la colonisation, Paris propose clairement une réconciliation des mémoires et de déclassifier des archives. A ce moment, il n’est pas vain d’espérer quelque éclaircie. Patatras. La crise des visas produire ses effet jusqu’en en 2022. L’orage passé, M.Tebboune annonce alors une nouvelle “relation de confiance” franco-algérienne et “une amitié réciproque” personnelle avec Emmanuel Macron. Pourtant, fin février 2023, la discorde est de retour : cette fois, il s’agit de la militante politique Amira Bouraoui, arrêtée en Tunisie et en passe d’être expulsée vers Algérie. Contre toute attente, elle obtient la protection du consulat français de Tunis et, enfin libre, prend un vol pour Paris. Alger condamne une exfiltration illégale. Imperturbable, Paris dit “continuer à avancer” avec Alger. Paris ne change pas de cap et une coopération renforcée dès le mois de mars est annoncée entre les deux pays. Quant à l’année 2024, celle-ci s’annonçait “sportive” mais plutôt positive. Les deux dirigeants échangent cordialement leurs vœux du Nouvel An. Néanmoins les multiples reports de la visite d’Etat du Président Tebboune en France, devenue l’arlésienne de la diplomatie française, traduit la volonté d’Alger de poser des conditions préalables. En effet, il faudra d’abord régler plusieurs dossiers sensibles : la question mémorielle, la coopération économique, les demandes de réparation et de dédommagements après les essais nucléaires français en Algérie, entre 1960 et 1966, ainsi que la restitution d’objets historiques. Les obstacles à ce voyage ne manquent pas et la diplomatie algérienne laisse fuiter des rumeurs selon lesquelles la partie française ferait preuve d’un défaut de professionnalisme dans le cadre des préparatifs. Le Président Tebboune a déclaré récemment que sa prochaine visite en France ne sera pas un “simple acte protocolaire mais un engagement profond”. So, wait and see…

Valérie Morales Attias est résidente au Maroc, journaliste et auteur, elle est enseignante à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris.

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