Cette gauche néoconservatrice qui a ruiné la diplomatie française

par Erwan Davoux
10 minutes lire

Avec Kouchner et la plupart de ses successeurs les atlantistes prennent le contrôle du Quai d’Orsay au détriment des gaulliens

Ce fut une erreur magistrale. En nommant Bernard Kouchner à la tête du Quai d’Orsay, Nicolas Sarkozy pensait s’attirer les bonnes faveurs de la gauche. Il n’en fut rien et aucun de « ses ministres d’ouverture » n’appellera à voter pour lui en 2012. Certains eurent des maroquins sans importance. Mais l’installation de Bernard Kouchner au Quai d’Orsay marqua un tournant. En effet, dans le long combat entre les gaullo-mitterrando-chiraquiens et les atlantistes, les seconds l’emportaient pour la première fois. Bernard Kouchner ne sera, hélas, pas une séquence isolée. Fabius, Le Drian (le tropisme militaire en plus qui s’avérera chaque fois être un pari perdant), Séjourné s’inscrivent totalement dans cette lignée. Les mêmes hommes aux postes clés, en cabinet appliquant la même politique, promus pour leur affiliation partisane à cette gauche néocons’ sans avoir le parcours et l’expérience requis. La France quittera alors la grande diplomatie pour une diplomatie partisane qui fera qu’elle ne jouera plus aucun rôle significatif dans les grandes affaires du monde.

La marginalisation du relative du Quai d’Orsay

Certes, Nicolas Sarkozy compensera cette erreur par un autre mouvement : la mise à l’écart progressive du Quai d’Orsay au profit de la cellule diplomatique de l’Elysée. Un dysfonctionnement institutionnel que se perpétuera sous les présidences suivantes et qui aboutira à une perte d’expertise considérable.

Néanmoins, c’est au Quai d’Orsay que se décident nombre de nomination, c’est le porte-parole du Quai d’Orsay qui donne le ton officiel de la diplomatie française et le Ministre des Affaires étrangères reste le représentant en chef de la diplomatie française, à défaut d’être le véritable décideur.

Avec Kouchner s’amorcera un noyautage des postes. Il placera tous ses proches et ceux de la mouvance atlantiste à des fonctions clés. Pour eux, il n’y a pas d’exception de la diplomatie française. La France n’est qu’un élément du camps occidental, se doit d’être le meilleur allié des Etats-Unis (mais sans jamais en retirer une quelconque influence en retour), sépare le monde entre « le camp du bien et le camp du mal » et voit le monde arabo-musulman comme un archaïsme dangereux qu’il convient d’encadrer et de museler sous couvert de propagation de la démocratie.

BHL en porte flambeau de l’enterrement de la voie gaullienne

Bernard Henri Levy soufflera à l’oreille de Nicolas Sarkozy la nécessité de reconnaitre le Conseil National libyen comme un Etat, ce que fera le Président au cours d’une audience qui suivit celle de BHL. Le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-Davis Lévitte, essaiera, en vain, de lui expliquer les risques d’une telle position. Quant à Alain Juppé, Ministre des Affaires étrangères, à Bruxelles ce jour-là, il apprendra cette sottise diplomatique par une dépêche AFP. La folle aventure libyenne pouvait commencer !

Un temps attribuée à Xavier Chatel (condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA), il semble aujourd’hui fort probable que ce même BHL, jamais à court de mauvaises inspirations tant qu’elles servent son « camp du bien », soit à l’origine de l’idée soufflée à  Emmanuel Macron d’une coalition internationale sur le modèle anti-Daesch pour combattre le Hamas. Cette proposition suscitera indifférence (de la part d’Israël) et moqueries de la plupart des chancelleries.

Mais le long parcours des catastrophes diplomatiques de BHL ne se réduit pas à ces deux séquences : partisan de la guerre en Irak dès 2022, soutien à l’opération “plomb durci” (2008-2009) à Gaza déjà… Déjà aussi des crimes de guerres et l’utilisation de bombes au phosphore blanc.

Il serait grand temps de retrouver des Présidents qui n’accordent aucun crédit à ce que leur susurre ce va-t-en-guerre qui s’est systématiquement trompé sur tout. Ou alors qui l’écoutent pour faire exactement l’inverse de ses préconisations qui sont sans aucun lien avec “une certaine idée de la France” et “une certaine idée de l’homme”.

Une diplomatie partisane et inféodée qui aboutit à une perte d’influence massive

La réintégration du commandement intégré de l’OTAN décidée par Nicolas Sarkozy sans obtenir aucune contrepartie marquera symboliquement le cap de la nouvelle diplomatie française qui abandonna alors l’héritage gaullien. Nicolas Sarkozy pu faire illusion par sa capacité au leadership, ses deux successeurs ne parviendront jamais à cacher l’isolement de la France sur la scène diplomatique et sa perte d’influence.

La France interviendra seule au Mali. Elle se retrouvera seule aussi et dans une position pitoyable pour annoncer qu’elle allait frapper le régime syrien avant de faire machine arrière. François Hollande ne sera même pas consulté sur la nomination de Jens Stoltenberg à la tête de l’OTAN. La France ne sera plus en mesure de faire passer la moindre résolution au Conseil de Sécurité, se contentant d’appuyer les initiatives prises par d’autres. Elle ne sera absolument plus un médiateur entre le Nord et le Sud, chassée d’Afrique[1], haïe par la « rue arabe »[2] et considérée comme un partenaire non fiable, de second rang par Israël. La France a perdu sur tous les tableaux.

Les acquis gaulliens bradés

Cet alignement sur les Etats-Unis et la réduction de la France au camp atlantiste conduira notre « cher et vieux pays », qui fut si brillant sous Jacques Chirac pour menacer d’user de son droit de veto afin de mettre hors la loi la guerre en Irak, et contraindre ainsi la marionnette des évangélistes à se mettre en marge du droit international, à rentrer dans le rang. Alors que la déstabilisation du Proche-Orient et du Moyen-Orient est le résultat direct ou indirect de la folie meurtrière de Georges W. Bush en Irak, la France a renoncé à faire du droit international, l’alpha et l’oméga de sa politique étrangère. C’est non seulement une faute morale mais aussi une erreur qui ruine son influence. C’est au Général de Gaulle que la France doit les deux atouts qui lui restent dans le jeu diplomatique : sa place de membre permanent du Conseil de sécurité et la dissuasion nucléaire.

Comme le disait le Général de Gaulle « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. » En revenir au simple rapport de force nous désavantage forcément puisque la France représente 1% de la population mondiale et 0,4% des terres émergées. En acceptant les massacres de Gaza, en étant incapable de faire respecter le droit international et humanitaire, la France se coupe l’herbe sous le pied, elle ruine une influence héritée de sa riche et glorieuse histoire.

L’autre legs de l’histoire, la dissuasion nucléaire, Emmanuel Macron est prêt à le brader. En proposant de partager l’arme nucléaire avec d’autres Etats européens (et avoir fait tester cette idée pour la dédiaboliser par des journalistes qui prennent leurs consignes à l’Elysée), Emmanuel Macron poursuit sa ligne de dissolution de l’identité française dans un magma euro-atlantiste sans chef et sans identité, juxtaposition d’Etats aux intérêts stratégiques profondément divergents. Ce Président gère la France comme une grande entreprise sans âme et sans passé.

En menaçant d’envoyer des hommes sur le terrain en Ukraine, Emmanuel Macron s’est non seulement attiré les foudres de tous ses partenaires atlantistes mais il a aussi exposé la France a un conflit direct avec une autre puissance nucléaire entraînant une surenchère qui a « banalisé » l’usage de l’arme nucléaire, au moins dans les discours.

Cette gauche néocons’ qui a fait main basse sur la diplomatie française trouve des alliés éminents dans la presse, auprès de journalistes marqués à gauche mais qui ont tout oublié des valeurs républicaines, se faisant les relais complaisant qui des Etats-Unis, qui de Netanyahou, qui de l’OTAN ou de la Commission européenne. Pour eux, l’intérêt national n’est pas un paramètre. Parfois, son alliance avec la droite extrême ou l’extrême droite est perceptible car la plupart des néocons et des évangélistes appartiennent aussi à ce camp-là, celui du « bien » auto-proclamé.

Tout sera à reconstruire en 2027

C’est un euphémisme que de dire que la diplomatie française est en ruine. En 2027, il faudra commencer un travail de reconstruction fastidieux en commençant par impulser une vraie politique RH au Quai d’Orsay faisant prévaloir l’expertise sur l’appartenance partisane. Le ministère des Affaires étrangères doit revenir au cœur du dispositif de la diplomatie française. Cet ajustement interne réalisé, il sera temps, alors, de s’atteler à retisser peu à peu des liens de confiance sur la scène internationale. Cette entreprise sera longue tant il est aisé et rapide de rompre la confiance mais infiniment plus difficile de la restaurer.


[1] Après son expulsion de la zone sahélienne, la France sur la corde raide au Sénégal | Geopolitics.fr

[2] Politique étrangère : “Comment Hollande et Macron ont tué De Gaulle” (marianne.net)

Vous aimerez aussi

Geopolitics.fr traite de l’actualité et analyse les questions politiques, internationales et de défense dans une perspective gaullo-chiraquienne et dans une démarche participative.

Newsletter

Abonnez-vous à ma newsletter pour de nouveaux articles de blog, des conseils et de nouvelles photos. Restons informés !

Dernières News

@2024 – All Right Reserved. Site réalisé par  Aum Web
Voulez-vous vraiment déverrouiller cet article ?
Restant à déverrouiller : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?