Macron veut réussir là où ses prédécesseurs ont échoué” : qu’attendre de la visite du président algérien en France ?
Tribune
Par Erwan Davoux
Publié le 17/07/2024 à 11:16
Les multiples reports de cette visite lui confèrent l’appellation « d’arlésienne »… Ceux-ci sont dus à l’épineuse question des biens à restituer en voie de règlement. En effet, la commission mixte d’historiens algériens et français a rendu public, le 27 mai dernier, un document résumant les résultats de sa cinquième rencontre, tenue à Alger du 20 au 24 mai. La partie algérienne a soumis une liste ouverte de biens historiques et symboliques devant être restitués par la France à l’Algérie. La réponse française est favorable. Le second point d’achoppement résulte d’une maladresse commise par l’Élysée : inviter le président Abdelmadjid Tebboune alors que ce dernier se trouve en fin de mandat a été interprété, en Algérie, fort logiquement, comme une immixtion dans les affaires intérieures. Pour l’opinion publique algérienne, c’est une accusation rédhibitoire.
Adelmajid Tebboune a officiellement annoncé sa candidature le 11 juillet. Il est le grand favori d’une élection qui comptera néanmoins pléthore de candidats. S’il est réélu, il est probable qu’il se rende en septembre ou octobre prochain en France. C’est du côté français que la situation a considérablement évolué en raison des élections législatives anticipées : la paralysie politique actuelle ne favorise pas la tenue d’une visite hautement symbolique et particulièrement sensible.
En Algérie comme en France, la relation bilatérale n’échappe pas aux contingences de politique intérieure. Si la désignation d’un nouveau gouvernement français est un préalable, il convient de savoir sur quelles forces politiques il s’appuiera. Le départ d’Éric Ciotti, pour qui le dénigrement de l’Algérie était un réflexe pavlovien, est un élément à prendre en considération. Néanmoins, sa position n’était pas isolée au sein des Républicains, parti qui n’a plus la moindre ligne en politique étrangère et ne voit l’international qu’à l’aune de pseudo-retombées de politique intérieure.
FIGURE DE L’ÉMIR ABDELKADER
La relation personnelle entre Emmanuel Macron est le président algérien est amicale. Des photos du G7 le 15 juin dernier font dire que le langage non-verbal ne trompe pas. Alors, qu’attendre de cette visite ? Du côté algérien, Abdelmadjid Tebboune poursuit deux objectifs principaux. Le premier est d’obtenir la garantie qu’il n’y aura pas d’évolution de l’accord de 1968 qui réglemente les circulations, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens en France. En effet, de nombreux hommes politiques français du centre droit à l’extrême droite se sont prononcés en faveur de sa révision. Or, cela ferait perdre un statut spécial aux Algériens, dérogatoire, et plus avantageux que le droit commun.
Le second objectif a trait au mémoriel. Le président algérien a affirmé, mardi 7 mai, que le dossier mémoriel avec la France sur l’époque coloniale « ne saurait faire l’objet de concessions ni de compromis » et devait être traité de manière « audacieuse », à l’occasion de la Journée de la mémoire, marquant l’anniversaire des massacres du 8 mai 1945 à Sétif.
Emmanuel Macron veut quant à lui communiquer sur le fait qu’il a obtenu satisfaction sur les laissez-passer consulaires. Surtout, le président français veut réussir là où ces prédécesseurs ont échoué : la véritable réconciliation avec l’Algérie. Il veut son « traité de l’Élysée » avec l’Algérie, selon un haut diplomate français. Dans la symbolique, la figure de l’émir Abdelkader (1808-1883) devrait jouer un rôle clé, d’autant que ses effets personnels figurent parmi les biens à restituer.
TROISIÈME ÉCONOMIE DU CONTINENT
C’est avec Jacques Chirac qu’Abdelaziz Bouteflika voulait dépasser le passé. Le président français de l’époque présentait deux avantages : il appartenait à la mouvance gaulliste et avait combattu dignement lors de la guerre d’Algérie. La politique arabe conduite était alors très appréciée. Mais tout le processus enclenché avait échoué lors de l’adoption de « l’amendement Vanneste » à l’Assemblée nationale, en février 2005, sur « le rôle positif de la colonisation ». C’est à partir de cette date que les demandes de reconnaissance des Algériens sur le mémoriel se sont faites plus insistantes.
Emmanuel Macron comme Abdelmadjid Tebboune sont d’ores et déjà d’accords pour communiquer sur la grande réussite de cette visite à venir, chacun disant qu’il a obtenu (quasiment) tout ce qu’il souhaitait. Mais les enjeux sont également économiques. L’économie algérienne est désormais la troisième du continent africain et profite à plein, dans le secteur gazier, de la forte demande des pays européens qui cherchent toujours des sources d’énergie alternatives au gaz russe.
On assiste à une multiplication des projets d’investissement dans le gaz naturel liquéfié. Plusieurs contrats ont ainsi été signés entre le groupe pétrolier algérien Sonatrach et l’italien Eni, le français Total ou l’américain Occidental Petroleum, dans le but d’augmenter la production en gaz et l’approvisionnement de l’Europe, notamment via le gazoduc Transmed qui achemine le gaz d’Algérie vers l’Italie.
Abdlelmajid Tebboune a réaffirmé le caractère socialiste immuable de l’économie algérienne dans son discours à la nation de décembre 2023. Et la mise en application est massive. Ainsi, le gouvernement a financé une augmentation progressive de 50 % des salaires des travailleurs du secteur public d’ici fin 2024, une augmentation des prestations de retraite pour les plus pauvres, ainsi que la revalorisation de l’allocation chômage.
DIVERSIFICATION DIPLOMATICO-ÉCONOMIQUE
Cette année, l’Algérie a adopté le budget le plus important de son histoire : 113 milliards de dollars de dépenses publiques, soit une augmentation de 6 %. Il prévoit de maintenir les dépenses sociales pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages. Les entreprises bénéficieront également de réductions d’impôts. L’investissement public devrait augmenter et sera principalement orienté vers le logement, les projets d’infrastructure et la défense.
Toutefois, le gouvernement a mis en place des mesures incitatives pour attirer les investissements étrangers. La suppression de la restriction dite « 51/49 » dans les secteurs non stratégiques (la règle de partenariat avec un résident local majoritaire à au moins 51 % contre 49 % pour la partie étrangère était le principe jusqu’en 2020), l’amélioration des conditions fiscales et la flexibilité des contrats dans le secteur des hydrocarbures sont autant d’indices qui vont dans ce sens, de même que la création d’une nouvelle agence de promotion des investissements.
Cependant, la diversification diplomatico-économique se fait au détriment de la France. La Russie reste son fournisseur d’armes privilégié. La visite en Russie, en juin 2023, du président Tebboune a réaffirmé la relation privilégiée entre Alger et Moscou. Par ailleurs, l’Algérie et la Chine continuent de développer leur coopération bilatérale dans le cadre de l’initiative « La Ceinture et la Route ». Et dans ce contexte, la France n’est que le troisième investisseur en Algérie derrière les États-Unis et l’Italie – mais semble néanmoins rester le premier hors hydrocarbures.
MISSION RAFFARIN BIS
Certes, la déclaration d’Alger signée entre les présidents de la République algérien et français, le 27 août 2022, définit le cadre global des relations économiques et des priorités en matière d’investissements : « La France et l’Algérie […] entendent favoriser une relance de leurs échanges économiques et encourager le développement des partenariats entre leurs entreprises ainsi que la recherche pour l’innovation. Ces efforts porteront en priorité sur les secteurs d’avenir : le numérique, les énergies renouvelables, les métaux rares, la santé, l’agriculture et le tourisme. Les deux parties sont convenues de coopérer sur la transition énergétique – notamment à travers une coopération dans les domaines du gaz et de l’hydrogène. » Mais dans les faits, cette déclaration tarde à se concrétiser et la relation économique bilatérale reste tributaire de contentieux importants.
Les potentialités d’un partenariat renforcé gagnant-gagnant sont nombreuses, notamment dans le domaine pharmaceutique ou le numérique. Chacun conserve, côté français comme côté algérien, un excellent souvenir de la « mission Raffarin », envoyé spécial du président pour l’Algérie, de 2010 à 2014. Coordonner la coopération économique, développer les investissements français en Algérie et algériens en France, surmonter d’éventuelles difficultés politico-administratives : tels étaient les enjeux. Son homologue a été Mohamed Benmeradi, ministre de l’Industrie et des PME, avec lequel l’ancien Premier ministre conserve des relations amicales.
Rappelons que la « mission Raffarin » a permis de débloquer une douzaine de dossiers importants. Plus de la moitié, soit 60 % des douze dossiers qui étaient en suspens sur la table du Conseil national d’investissement, avait été réglés. Pourquoi ne pas solliciter Jean-Pierre Raffarin pour reprendre du service dans un cadre bien défini ? Issu du secteur privé, l’ancien Premier ministre a toujours accordé une importance majeure au développement des entreprises françaises à l’international. En outre, avoir été Premier ministre de Jacques Chirac ouvre bien des portes à l’étranger, cette période étant associée à un âge d’or, bien révolu, de la diplomatie française. Cette option mérite d’être étudiée.
- Par Erwan Davoux