Une semaine après les élections présidentielles au Venezuela, tenues 28 juillet, les résultats publiés par le Conseil national électoral (CNE), proclamant Nicolás Maduro vainqueur, souffrent d’un énorme manque de crédibilité et de confiance, ce qui a donné lieu à une nouvelle escalade de violence dans tout le pays. Les données obtenues des centres de vote ainsi que les actes récupérés par les délégués dans les bureaux de vote vont dans le sens d’une victoire du candidat de la plateforme unitaire (Opposition) Edmundo González avec près de 70% des votes. D’autre part, à cette occasion, plus de 5 millions de Vénézuéliens à l’étranger (la grande majorité des opposants) n’ont pas pu voter en raison d’obstacles générés par les bureaux diplomatiques et consulaires subordonnés au régime de Maduro.
Origines de la crise
Le CNE est un pouvoir d’État contrôlé par le chavisme depuis l’approbation de la Constitution de 1999, puisque le gouvernement Chavez a été chargé d’imposer de nombreuses réformes à travers différentes lois favorisant l’établissement d’un État socialiste hégémonique et autoritaire précédemment rejeté par le peuple vénézuélien dans un référendum en 2007.
Parmi les aspects les plus graves de ces réformes, on peut citer les suivants :
- La politisation de tous les pouvoirs et institutions de l’État, en particulier le pouvoir électoral, le pouvoir judiciaire et le pouvoir moral qui comprend le procureur général de la nation, le contrôleur général de la République et le défenseur du peuple.
- L’endoctrinement de tous les organes de sécurité de l’État tels que la police et les forces armées nationales (illégalement appelées bolivariennes) qui, selon l’article 328 de la Constitution vénézuélienne « … constituent une institution essentiellement professionnelle, sans militantisme politique, organisée par l’État pour garantir l’indépendance et la souveraineté de la Nation et assurer l’intégrité de l’espace géographique… »
- La création inconstitutionnelle d’une nouvelle composante des forces armées nationales appelée « Milice nationale bolivarienne », un corps de miliciens civils, non diplômés des académies militaires et équipés d’armes sans préparation ni expérience, mais qui servent de bras armé de la révolution bolivarienne.
- La suppression de l’autonomie de la Banque centrale du Venezuela dans la formulation de la politique monétaire, qui a pratiquement favorisé la disparition du bolivar comme signe monétaire, en échange d’une dollarisation de facto de l’économie.
- La suppression progressive du système salarial au Venezuela, remplacé par un système de primes « compensatoires » qui ne font pas partie du salaire lors de la détermination du calcul des pensions de retraite.
- La politisation de toutes les entreprises d’État, y compris Pétroles du Venezuela (PDVSA), qui a provoqué le départ de nombreux professionnels et la destruction de la principale industrie du pays en raison d’innombrables scandales de corruption.
- La mise en place d’un modèle d’approvisionnement alimentaire appelé sacs « CLAP » contrôlé par le régime à travers lequel certains aliments de qualité douteuse sont vendus à bas prix aux populations les plus vulnérables et aux fonctionnaires, qui est devenu comme un mécanisme de dépendance et de contrôle social à des fins politiques par le chavisme.
La diplomatie chaviste fondée sur des alliances idéologiques
La jouissance pendant plus d’une décennie des immenses bénéfices des revenus pétroliers a permis à Hugo Chavez de construire un leadership pour promouvoir une politique internationale basée sur des affinités idéologiques et qui comprenait principalement la vente de pétrole bien en dessous des prix du marché et avec des conditions de paiement avantageuses auprès de tous les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. De cette manière, Chavez, avec le soutien de Fidel Castro et avec le chéquier de PDVSA, a financé les campagnes des candidats de gauche arrivés au pouvoir ainsi que la création de diverses organisations régionales telles que la CELAC, l’UNASUR et l’ALBA, afin de constituer une front géopolitique qualifié par certains experts de « marée rose », opposés aux intérêts des États-Unis.
Les États-Unis, qui avaient négligé pendant des années l’Amérique latine (appelée historiquement son arrière-cour) en raison des conflits au Moyen-Orient, sont entrés très tard en mouvement pour contenir cette avancée du « Socialisme du 21e siècle » et c’est ce qui a permis à Chavez et à sa révolution de se développer avec le soutien d’autres pays alliés comme la Russie, la Chine et l’Iran, qui se sont regroupés en un ensemble de blocs multipolaires de nature antisystème, défiant l’ordre international.
Le madurisme au pouvoir et la neutralisation de l’opposition
Après la mort de Chavez en 2013, son dauphin politique Nicolás Maduro, un militant socialiste formé à Cuba, qui a pris le pouvoir en se faisant appeler « le président ouvrier », a entamé un processus d’épuration interne du chavisme qui a donné naissance au « Madurisme » en excluant des rangs révolutionnaires d’importants dirigeants fidèles à l’héritage de Chavez.
À mesure que Maduro acquérait davantage de pouvoir, la crise politique s’aggravait et le mécontentement social, accentué par des années d’hyperinflation, de mauvaise gestion des services publics et de l’impact des sanctions internationales, se multipliait. Par conséquent, le pays a été inondé entre 2014 et 2017 des grandes manifestations contre Maduro, générant un climat de répression, de persécution et d’emprisonnement accru des dirigeants de l’opposition. C’est la raison pour laquelle, la Cour pénale internationale, a ouvert une enquête contre l’État vénézuélien pour crimes contre l’humanité, qui est toujours en cours d’examen.
L’échec systématique de divers mécanismes de dialogue entre le gouvernement et l’opposition, la victoire de Maduro aux élections de 2018 (la fiabilité des résultats avait déjà été remise en question) et la perte de crédibilité auprès du peuple de plusieurs dirigeants de l’opposition comme Juan Guaidó qui s’était illégalement proclamé lui-même président par intérim en 2019 a fini par donner à Maduro de l’oxygène à l’intérieur et à l’extérieur du Venezuela.
Dans ce contexte, le régime de Maduro a compris que, si à un moment donné le soutien populaire venait à se perdre, la seule façon de soutenir et de sauver la révolution bolivarienne serait de compter sur le soutien et la loyauté des militaires. Pour cette raison, les militaires occupent actuellement des postes stratégiques importants, notamment dans les ministères, les entreprises publiques et les représentations diplomatiques.
Lorsque le régime de Maduro a montré des signes évidents de sa volonté de se maintenir au pouvoir, bloquant toutes les initiatives démocratiques et constitutionnelles promues par l’opposition (avec une majorité parlementaire en 2016) pour aboutir à une solution pacifique, à travers un référendum révocatoire et la tenue d’élections justes, libres et transparentes, les dirigeants du chavisme ont commencé à utiliser les tribunaux pour lancer des poursuites pénales. Les chefs d’inculpation étaient des crimes présumés de trahison à la patrie et de terrorisme, entre autres, contre de nombreux dirigeants de l’opposition, sans droit à une assistance juridique et à une justice impartiale. Dans le même temps, une fausse opposition appelée “Les Scorpions” a été montée de toute pièce et a servi d’auxiliaire au régime pour légitimer ses actions et fracturer l’opposition démocratique.
La dirigeante de l’opposition María Corina Machado a sans aucun doute été la personnalité politique la plus persécutée par le chavisme. Machado n’a jamais abandonné la lutte pour la liberté et la démocratie et, malgré les obstacles, elle a réussi à capitaliser sur l’angoisse et les besoins du peuple vénézuélien, en prenant comme principal message la réunification des Vénézuéliens.
Sa disqualification illégale en tant que candidate à la présidence a probablement été la plus grande erreur de Maduro, car elle n’a pas empêché María Corina Machado de rester active dans les rues tout en augmentant le niveau de rejet social de Maduro. Cela lui a donné plus de force pour trouver une formule gagnante aux côtés de l’ambassadeur Edmundo González Urrutia, qui est un homme intègre, militant pour la paix et le dialogue.
Scénarios possibles
Les manifestations au Venezuela ont jusqu’à présent fait au moins une douzaine de morts et plus de 1000 personnes arrêtées, dont plusieurs personnes dans le cadre de « l’Opération Tun Tun », des raids surprises sans ordonnance du tribunal. En représailles à ces manifestations qualifiées par Maduro de fascistes et terroristes, les détenus seront internés dans deux prisons de sécurité maximale, « Tocorón et Tocuyito », transformées en quelque chose qui s’apparente à des camps d’internement ou goulag.
Dans le domaine des communications, le régime a renforcé la censure, empêchant l’accès à des sites web et à diverses applications mobiles, ainsi que la mise en place d’un système de plaintes par des militants chavistes contre des voisins soupçonnés d’être des opposants. De même, le recours contentieux électoral introduit rapidement par Maduro devant le Tribunal Suprême de Justice (TSJ) est une manœuvre politique visant à légitimer sa victoire par une décision irrévocable et contraignante. Ce scénario aggrave encore la crise politique au Venezuela avec l’ouverture d’une enquête par le bureau du procureur général contre María Corina Machado et Edmundo González.
La communauté internationale suit de près la situation au Venezuela et fait pression pour qu’un accord politique soit trouvé entre le régime de Maduro et l’opposition. Cependant, d’après notre analyse, cette possibilité est pratiquement hors de portée étant donné l’absence de climat de confiance entre les parties. Car, tandis que Maduro durcit de jour en jour les hostilités contre l’opposition, l’opposition insiste davantage sur le maintien d’une forte mobilisation.
Par conséquent, la médiation des présidents du Brésil, de la Colombie et du Mexique ne peut guère contribuer à une initiative de dialogue qui a historiquement permis à Maduro de gagner du temps pour refroidir la rue et démoraliser l’opposition, ce qui conduirait à un exode imminent de Vénézuéliens.
Pendant ce temps, les États-Unis n’ont pas encore clairement défini leur position, se contentant de dire que « leur patience est à bout » et de poursuivre la rhétorique usée du dialogue. A quoi joue la Maison Blanche ? Pour certains analystes, une intervention américaine ne serait pas dans les plans de l’administration Biden, surtout au milieu d’une campagne électorale complexe dans laquelle les démocrates ne veulent pas prendre de risques majeurs à trois mois de l’échéance.
Dans tous les cas, il est plus raisonnable de penser que les États-Unis chercheront à faire pression sur le régime de Maduro pour parvenir à une éventuelle solution négociée avec le maximum de garanties et avec l’accompagnement de l’Union européenne. Mais cela ne serait pas si simple, puisque Maduro chercherait par tous les moyens à rester au pouvoir en échange de l’acceptation de certaines conditions et de la collaboration avec Biden au rapatriement de nombreux Vénézuéliens pour réduire les tensions migratoires.
En conclusion, nous considérons qu’à l’intérieur, la résolution de la crise politique au Venezuela dépendra, d’une part, du niveau de pression exercée par la résistance civique et, d’autre part, de la position des militaires, et Maduro le sait bien parfaitement, et il ne serait pas étrange d’effectuer, pour des raisons de sécurité, des mouvements ou des substitutions dans certaines unités de commandement au sein des différentes composantes des Forces armées.