L’Amérique Latine, une catastrophe géopolitique ?

par David OSORIO
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La latinité n’est pas un terme lié exclusivement à l’ethnie, à la géographie, aux langues et à la culture. Il n’est pas non plus la propriété absolue de l’héritage romain, de l’Espagne conquérante ou de la France impériale de Napoléon III dans son expédition militaire ratée au Mexique. La latinité est avant tout la confluence de multiples relations et coutumes sociales liées à un objectif commun : la liberté. Aujourd’hui, cette liberté se traduit non seulement par le pouvoir de mobilité mais aussi par l’identité et l’autodétermination.

Cependant, au fil du temps, le peuple latino-américain n’a pas réussi à consolider cette liberté, toujours en proie à des affrontements politiques et à des inégalités économiques. Les deux derniers siècles, y compris l’actuel, ont connu un d’innombrables guerres civiles, invasions et dictatures militaires. Les conséquences de cette instabilité dans l’hémisphère font indéniablement peser une responsabilité sur les États-Unis, qui, dans le cadre de leur vision hégémonique du monde, ont maladroitement accordé un traitement colonial à leurs relations avec l’Amérique latine, interrompant le cours des événements, ainsi que la connexion de la région avec le reste du monde.

Mais cette lutte inlassable pour la liberté a servi de phare pour comprendre le sacrifice qu’exige aujourd’hui la défense de la démocratie. Comprenant alors que la démocratie, même avec ses imperfections, est le noyau fondamental de la norme sociale et institutionnelle en Amérique latine, l’accumulation d’années de mauvaise administration, de corruption et de pauvreté a donné lieu à l’émergence de faux messianismes politiques à caractère populiste qui, sous le bouclier de la démocratie, sont devenus les nouveaux tyrans de l’histoire. En ce sens, nous pourrions affirmer que l’Amérique latine, à quelques exceptions près, n’a pas effectivement respecté les normes démocratiques habituelles.

QUELLE A ÉTÉ LA RAISON PRINCIPALE?

Des décennies d’échec des réformes de l’État ont combiné en Amérique latine le déclin de la gouvernance démocratique, qui s’est manifesté par le démantèlement éthique et méritocratique des institutions où la fonction publique se mêle au clientélisme politique. Par conséquent, cette anomalie a permis à de nombreux gouvernements d’abuser de leurs pouvoirs constitutionnels en envahissant les autonomies d’autres pouvoirs de l’État et en politisant les organes judiciaires.

Lorsqu’un gouvernement dépasse les limites de la décence politique et commence à perturber systématiquement l’État de droit, la démocratie devient fragile et vulnérable, laissant ses mécanismes de contrôle et de sécurité ouverts à la mutation d’un État démocratique en un État autoritaire, tout en préservant dans la formalité et l’apparence les composantes originales du système démocratique, telles que les élections, le libre-échange et d’autres droits.

L’ÉCHEC DU NÉOLIBÉRALISME ET L’ARRIVÉE INATTENDUE DE LA GAUCHE EN AMÉRIQUE LATINE

A moment donné, les peuples latino-américains ont commencé à ressentir financièrement l’impact des politiques économiques inefficaces de certains gouvernements néolibéraux, la forte croissance des taux de pauvreté et de criminalité. Des mouvements et groupes de gauche, au milieu d’une frustration sociale croissante, ont profité de l’occasion pour attaquer l’ordre démocratique, favorisant la fin anticipée de certains gouvernements, même par le biais de coups d’État. À l’époque, les citoyens ordinaires ont constataient un décalage flagrant entre les principes fondateurs de la démocratie et leurs besoins fondamentaux.

Dans ce scénario, les mouvements de gauche ont acquis de plus en plus un caractère subversif et insurrectionnel. Parallèlement, alors que les partis traditionnels commençaient à perdre en popularité et en crédibilité, plusieurs groupes, partis politiques et des associations de gauche d’Amérique latine avaient déjà rejoint le Forum de Sao Paulo créé en 1990 à l’initiative du Parti des Travailleurs (Brésil) avec le ferme objectif de devenir un front idéologique anti-impérialiste, radicalement opposé aux États-Unis et à leurs alliés.

La presse internationale a donné de la notoriété à ce processus tellurique en Amérique Latine et a rapidement provoqué le rapprochement d’intellectuels, entrepreneurs, de militants sociaux et de personnalités de tout bord, ce qui a renforcé le soutien et la justification de dirigeants « révolutionnaires » qui, tôt ou tard, parviendraient au pouvoir politique. Mais la thèse antisystème de la gauche latino-américaine cache quelque chose de plus que la simple critique des politiques néolibérales et conservatrices. Son arrivée au gouvernement serait le point de départ d’un processus anti-démocratie qui chercherait la plus grande accumulation de pouvoir, à travers des réformes constitutionnelles comme l’Assemblée constituante qui favoriserait l’établissement d’un système socialiste, restrictif des libertés publiques et avec la suprématie présidentielle sur le reste des pouvoirs de l’État.

Au Venezuela, lorsque le lieutenant-colonel Hugo Chávez échoua en 1992 lors de deux tentatives de coup d’État, justifiant sa rébellion par les manifestations sociales de 1989 connues sous le nom de “El Caracazo”, les dirigeantes politiques, déjà sur le déclin, commirent la grave erreur de croire que leur survie dépendait de l’amnistie des militaires rebelles, une erreur commise par le président Rafael Caldera, l’un des pères fondateurs de la démocratie vénézuélienne.

Une fois libéré en 1994, Chávez a pu poursuivre une carrière politique malgré ses tentatives contre la démocratie et sa conspiration clandestine au sein des forces armées. Sa popularité s’est accrue au fur et à mesure que son discours enflammé attaquait sans pitié les vieux partis, qui manquaient de leadership et de propositions novatrices. La rage accumulée par les Vénézuéliens dépassait le rationnel et l’élection d’Hugo Chávez à la présidence en 1998 et fait passer inaperçue sa solide alliance idéologique avec Fidel Castro.

En moins d’un an, Chávez accumula un pouvoir incommensurable grâce à l’Assemblée constituante de 1999, convoquée illégitimement à la suite d’une interprétation très contestable de la Constitution vénézuélienne de 1961, par la Cour suprême de justice. La nouvelle Constitution de 1999 issue de ce processus constituant, inspirée du programme politique de Chávez influencé par Castro, a créé les conditions permettant au régime “bolivarien” de prendre le contrôle absolu de toutes les institutions de l’État, en particulier des forces armées.

Le leadership de Chávez en Amérique latine s’est développé avec la hausse des prix du pétrole qui, pendant plus d’une décennie, lui a permis de créer un climat virtuel de prospérité au Venezuela, tout en se débarrassant de tous ses opposants politiques. Mais Hugo Chávez a également utilisé son énorme pouvoir économique pour mettre en œuvre les idées de Fidel Castro concernant le financement des campagnes électorales des candidats de gauche en Amérique latine. Nicolás Maduro a poursuivi sur cette voie après la mort de Chávez.

Depuis plus de 20 ans, la carte de l’Amérique latine est essentiellement très à gauche avec l’arrivée d’Evo Morales en Bolivie, de Rafael Correa en Équateur, des Kirchner en Argentine, de Luis Ignacio Lula Da Silva au Brésil, de Daniel Ortega au Nicaragua et, plus récemment, de Gustavo Petro en Colombie et d’Andrés Manuel López Obrador au Mexique, entre autres, ainsi que de certains premiers ministres dans les Caraïbes.

L’HEGEMONIE SOCIALISTE EN AMERIQUE LATINE ET SON IMPACT GEOPOLITIQUE

Lorsque les gouvernements socialistes se sont développés dans toute l’Amérique latine au début du nouveau millénaire grâce au soutien du Venezuela, chacun d’entre eux, avec des nuances et des styles différents, a commencé à imposer des réformes constitutionnelles similaires à celles de Chávez afin de contrôler et de soumettre les institutions de l’État. Le projet socialiste avait déjà pris une dimension continentale lorsque ces gouvernements ont décidé de créer leurs propres organisations régionales telles que l’ALBA, la CELAC et l’UNASUR afin d’affaiblir le poids de l’Organisation des États américains (OEA) et l’influence des États-Unis et du Canada dans l’hémisphère.

Le socialisme du XXIe siècle soutenu par les gouvernements de gauche d’Amérique latine est devenu un monstre à mille têtes depuis 2006, et bien que Chávez ait été renversé en 2002 pour 72 heures, son retour, au lieu de signifier un processus de rectification et de respect des principes démocratiques, a fini par radicaliser sa révolution en renforçant la répression, la censure et le contrôle de l’ensemble de l’État. Il a ainsi assuré sa permanence au pouvoir en contôlant les forces armées, en nommant des juges chavistes et en établissant la figure de la réélection continue avec tous les avantages que cela implique.

Ce n’est donc pas un hasard si, les intérêts américains étant concentrés dans d’autres parties du monde, la gauche latino-américaine avait décidé de s’unifier pour rester au pouvoir à tout prix et, en cas de départ du pouvoir, commencer à conspirer dès le premier jour de l’installation d’un autre gouvernement pour le renverser. La différence réside dans l’interprétation des faits. Si les manifestations de rue sont encouragées par la gauche, la gauche parle de révolution. Mais si elles sont encouragées par la droite libérale ou conservatrice, la gauche l’accuse de terrorisme ou de coup d’État.

Et c’est précisément l’incompréhension de ces manœuvres politiques qui fait que, dans certains pays européens, la “gauche caviar” continue à soutenir avec sympathie ce qu’elle considère comme ses homologues politiques latino-américains, sans cesser de comprendre que cette coalition de gauche en Amérique latine a des intérêts communs forts dans le monde entier, qui incluent des accords et des grands trafics  de différentes natures.

En résumé, l’indifférence à l’égard du processus politique latino-américain, piégé par des complexités internes et externes souvent inconnues de la communauté internationale, a empêché les principaux acteurs de créer les conditions nécessaires au rétablissement de la démocratie. Mais lorsqu’une nation entière est prise en otage par un système politique, il devient plus difficile pour la société d’échapper à ses pièges. Ces pièges comprennent les élections frauduleuses, la manipulation de la justice, la menace et l’intimidation, ainsi que l’utilisation abusive de la propagande officielle.

Mais l’aspect le plus délicat de ce scénario est que l’autoritarisme de la gauche latino-américaine, du moins radical au plus radical, a établi de dangereuses alliances politiques, commerciales et militaires avec des régimes non démocratiques tels que la Russie, la Chine et l’Iran, qui défient actuellement l’ordre juridique international. Par conséquent, l’Amérique latine acquiert désormais une importance stratégique croissante pour la paix et la sécurité internationales et cela devra certainement être un aspect central de la prochaine administration américaine, car la menace hémisphérique a désormais une portée transatlantique que certains sous-estiment…

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