Le rôle du Premier ministre n’est pas prééminent en matière de politique étrangère. Il l’est encore moins quand il ne dispose pas de majorité à l’Assemblée nationale.
C’est bien Emmanuel Macron qui continuera à fixer les orientations en la matière, d’autant que ses positions ne sont pas franchement différentes de celles de Michel Barnier. S’il existe, au moins, un domaine où la continuité prévaudra sur le changement, c’est celui de la diplomatie. Malheureusement….
C’est très probablement avec une certaine incrédulité que les diplomates ont accueilli la nomination du nouveau ministre des Affaires étrangères et de celui délégué aux affaires européennes. Alors que des « poids lourds » ou des diplomates chevronnés étaient pressentis, les pronostics ont été déjoués. Ce sont des novices qui sont désormais à la tête d’une diplomatie française très mal en point.
Jean-Noel Barrot comme Benjamin Haddad sont peu expérimentés mais sont des proches du Président de la République, signe que ce dernier et sa cellule diplomatique conserveront la haute-main sur la politique étrangère et que le Quai d’Orsay continuera à se cantonner à un rôle de représentation et de communication.
En effet, si Jean-Noël Barrot dispose d’un parcours universitaire assez remarquable et d’un parcours politique rapide et impressionnant, il n’était pas attendu sur l’international.
Quant à Benjamin Haddad, transfuge l’UMP, il est venu à la macronie lors de son passage à l’Atlantic Council et une interview qu’il réalisa, alors, d’Emmanuel Macron. Ce passage dans un think tank américain qui est aussi un groupe de pression peut poser question. Engagé dans la promotion de la relation transatlantique, il est piloté par de hauts dirigeants ou ex hauts dirigeants de la diplomatie américaine (Chuck Hagel, Susan Rice, Richard Holbrooke…).
Les deux ministres sont très engagés en faveur de l’Ukraine qui constitue l’essentiel de leurs prises de positions publiques à l’international. Benjamin Haddad, lui, s’est fortement fait remarquer par le soutien apporté au gouvernement Netanyahou, justifiant les violations du droit international par « la nécessité pour Israël de se défendre ».
Interrogé sur la question sur TF1, dimanche 22 septembre, Michel Barnier a semblé placé le curseur plutôt du côté israélien, tout en rappelant en politique expérimenté, la nécessité qu’un Etat palestinien voit le jour.
Dans le contexte actuel et après le vote massif de la Knesset contre la création d’un Etat palestinien en juillet dernier, chacun sait bien qu’il s’agit d’un vœu pieux et que sans pression colossale sur le gouvernement Netanyahou, rien ne se passera. L’embrasement du Proche-Orient est en cours. La diplomatie française s’était donné pour objectif prioritaire d’éviter une escalade au Liban. Elle n’y est pas parvenue. Les nombreuses tournées de Stéphane Séjourné n’ont abouti à aucun résultat probant. La France n’entend pas, pour l’instant, déplacer les lignes sur un conflit dans lequel, d’ailleurs, aucun des protagonistes n’attend plus quoi que ce soit d’elle.
Dans l’opposition entre gaullistes et atlantistes qui anima un temps les diplomates, celui qui fut Ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac ne renouera probablement pas avec la tradition gaullienne d’indépendance, d’une France à la tête de grandes coalitions internationales portant des causes justes, de facilitateur de dialogue entre le Nord et le Sud. Le contexte politique ne le permet pas et les convictions personnelles de Michel Barnier sont assez éloignées de celles de Dominique de Villepin.
L’heure est à l’atlantisme et à une Europe docile vis-vis des Etats-Unis. Il est probable que nous assisterons à une énième tentative de réanimation du couple franco-allemand. Elle sera probablement vaine tant nous ne regardons plus dans la même direction.
Néanmoins, il est certain que l’on peut s’attendre à davantage de professionnalisme de la part de Michel Barnier et de Jean-Noël Barrot dans l’expression et la mise en forme d’une ligne diplomatique définie à l’Elysée que ce ne fut le cas avec leurs prédécesseurs. Le Premier ministre est un homme d’expérience rompu aux négociations à l’international contrairement à son prédécesseur. Jean-Noël Barrot n’est pas un apparatchik de parti politique. A défaut de changement de cap, la forme sera plus respectueuse de ce que l’on est en droit d’attendre de la diplomatie française : moins partisane et plus à la hauteur.
Le nouveau directeur de Cabinet du MEAE, Aurélien Lechevallier est un macroniste de la première heure, mais surtout un diplomate ayant fait ses preuves et disposant des états de service (plusieurs postes à l’étranger, direction de la très puissance direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international), requis pour le poste. Un profil consensuel et expérimenté qui tranche avec celui de son prédécesseur.
Des changements à la cellule diplomatique de l’Elysée seraient également bienvenus tant le bilan diplomatique est maigre. En effet, le défaussement sur la DGSE pour expliquer les fiascos diplomatiques ne convainc pas grand monde, qu’il s’agisse de la calamiteuse politique africaine, de l’abandon du dossier israélo-palestinien avant le 7 octobre ou de l’échec à aider le Liban à enclencher une dynamique positive ou à le préserver de l’escalade au Proche-Orient.
Le grand mouvement d’ambassadeurs à venir (Nations-Unies, Moscou, Tokyo…) pourrait voir une redistribution importante de fonctions essentielles dans laquelle Michel Barnier aura un mot à dire.
Ce n’est qu’après l’élection présidentielle, s’il existe une réelle volonté politique, que la France pourrait renouer avec une politique étrangère de grandeur et d’indépendance nationale. Il ne s’agit pas par-là de laisser croire que la France décidera de tout partout. Mais qu’elle fixera un cap et prendra des positions en fonction de ses intérêts propres sans ingérences étrangères outrageuses. Une politique étrangère conforme à ses valeurs républicaines et à sa riche histoire. Le Quai d’Orsay devra être replacé au centre du dispositif diplomatique avec des femmes et des hommes soucieux de restaurer le prestige perdu de la diplomatie français plutôt que de se contenter de croire en la supériorité du modèle des démocraties occidentales, à bout de souffle et largement discrédité par tous les renoncements à Gaza.