Soudan du Sud : situation insoutenable, La Russie refuse un cessez-le-feu !

par Olivier DELAGARDE
16 minutes lire

La Russie a mis son veto ce lundi, à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU pour un cessez-le-feu au Soudan. Des dizaines de milliers de personnes sont déjà mortes dans cette guerre. Près de 60 % de la population du Soudan du Sud sera en situation d’insécurité alimentaire aiguë en 2025, ont indiqué lundi les différentes agences des Nations Unies, relevant que les rapatriés fuyant la guerre au Soudan voisin et les jeunes enfants sont confrontés à des niveaux de faim et de malnutrition parmi les plus élevés, alors que les pressions économiques, les extrêmes climatiques et les effets de la guerre au Soudan aggravent la faim.

Il est plus que probable qu’environ 7,69 millions de personnes se trouveront dans une situation alimentaire de crise (phase 3 du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, l’IPC) ou supérieure. Ce chiffre inclut 2,53 millions de personnes susceptibles d’être en phase 4 (insécurité alimentaire d’urgence) et 63.000 personnes susceptibles d’être en phase 5 (catastrophe), si un apaisement ou à tout le moins un arrêt des combats n’intervient pas rapidement.

Ces nouvelles données alarmantes, unanimes toutes organisations confondues, montrent que l’insécurité alimentaire aiguë et la malnutrition se détériorent en raison de la crise économique, des chocs climatiques répétés – principalement des inondations généralisées – conséquences directes du conflit et de l’insécurité permanente.

L’afflux de rapatriés et de réfugiés fuyant le conflit au Soudan exacerbe la situation et accroît la pression sur un pays déjà ravagé.

Une famine catastrophique menace les rapatriés fuyant le Soudan

Selon les dernières données du Cadre de classification intégrée de la sécurité alimentaire (IPC), plus de 85 % des rapatriés fuyant le Soudan seront en situation d’insécurité alimentaire aiguë au cours de la prochaine période d’observation, qui débutera en avril 2025. Quelles que soit leurs destinations d’exil, ces derniers représenteront également près de la moitié des personnes confrontées à une faim catastrophique dans le monde.  

« Année après année, nous constatons que la faim atteint des niveaux parmi les plus élevés que nous ayons connus au Soudan du Sud et, lorsque nous examinons les zones où les niveaux d’insécurité alimentaire sont les plus élevés, il est clair qu’un cocktail de désespoir – conflit et crise climatique – en est le principal moteur », a déclaré Mary-Ellen McGroarty, la Représentante du Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) dans le pays devant le Conseil de sécurité, en vain.

Entre septembre et novembre 2024, l’ONU estime que 6,3 millions de personnes (47 % de la population analysée) sont classées dans la phase 3 de l’IPC ou dans une phase supérieure (crise ou pire). Sur ce total, 1,71 million de personnes sont confrontées à des niveaux critiques d’insécurité alimentaire aiguë – classés dans la phase 4 de l’IPC (urgence) – et 41.000 autres personnes sont confrontées à des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire aiguë ou phase 5 de l’IPC (catastrophe).

Des chiffres implacables : près de 2,1 millions d’enfants menacés de malnutrition

La population en phase 5 (catastrophe) comprend 10.000 personnes dans le comté de Malakal (État du Nil supérieur) et environ 31.000 rapatriés du Soudan du Sud qui ont fui le Soudan en raison du conflit en cours. Par rapport à la même période de l’année dernière, cela indique une augmentation d’environ 500.000 personnes en phase 3 ou supérieure.

Par ailleurs, près de 2,1 millions d’enfants sont menacés de malnutrition, contre 1,65 million auparavant. Les enfants, premières victimes, se réfugient dans les centres de nutrition plusieurs fois par an, car ils continuent de souffrir d’un accès insuffisant à l’eau potable ainsi qu’à l’assainissement.

La maladie est un facteur majeur de malnutrition et près de la moitié des enfants inclus dans les données collectées avaient été malades au cours des deux semaines précédentes.

« La malnutrition est le résultat final d’une série de crises, dont la plus notable pour le Sud-Soudan est le manque d’assainissement et la prévalence des maladies d’origine hydrique, ainsi qu’une grave insécurité alimentaire. », déclare pour sa part Hamida Lasseko, Représentante de l’UNICEF dans ce pays d’Afrique de l’Est.

L’UNICEF s’est dit profondément préoccupé par le fait que le nombre d’enfants et de mères exposés au risque de malnutrition va continuer à augmenter inéluctablement si aucun cessez- le-feu n’intervient et permettant un développement de l’aide humanitaire internationale. Il s’agit ainsi de s’attaquer à ces causes profondes, parallèlement à « l’apport d’un soutien nutritionnel immédiat pour traiter la malnutrition chez les enfants qui risquent davantage de mourir ».

Des exactions multiples : dans certains camps, on ne voit plus de jeunes femmes

« Certains parents ont été tués alors qu’ils tentaient de protéger leurs filles du viol », affirme Sara*, conseillère dans l’État d’Al Jazirah dans l’est du Soudan, et l’une des nombreuses personnes travaillant dans le secteur de la santé qui ont relaté des récits choquants de violences sexuelles au cours des dernières semaines.

Depuis le 20 octobre, l’escalade du conflit dans l’État d’Al Jazirah a entraîné la mort de plus de 100 personnes, dont des professionnels locaux de la santé, contraignant plus de 135.000 personnes à fuir leur domicile afin de trouver un hypothétique refuge dans les États voisins.

Avec au moins six établissements de santé attaqués ces derniers mois, les soins de premières urgences ont été gravement perturbés et les patients transférés vers d’autres centres de santé, bien que seul un sur quatre soit actuellement opérationnel à Al Jazirah.

Les rapports du ministère de la Santé de l’État indiquent la recrudescence de graves violations des droits de l’homme commises au cours d’attaques de rebelles, des femmes et des filles âgées de 6 à 60 ans ayant été victimes de viols et d’agressions sexuelles.

Des femmes se jettent dans la rivière pour éviter d’être abusées

« Dans certains camps, on ne voit plus de jeunes femmes », rapporte un agent de santé à l’UNFPA, l’agence des Nations Unies en charge des questions de santé sexuelle et reproductive.

« Certaines filles qui sont arrivées à Gedaref ont dit que leurs amies avaient été abandonnées ».

Les agents de l’UNFPA à Gedaref ont pour mission de prendre en charge des femmes et jeunes filles qui ont récemment dû fuir Al Jazirah, dans les refuges financés à cet effet, avec une première mission à peine imaginable : « empêcher des femmes de se jeter dans la rivière pour éviter d’être abusées par des hommes armés ». Dans un autre camp de déplacés à Kassala, certains témoignent des douloureux avertissements de leur famille avant leur départ : « Si nous voyons des combattants armés venir au village et tenter de vous violer, nous vous tuerons pour vous protéger avant que cela n’arrive ».

Un drame humain accentué par la stigmatisation des violences sexuelles

La stigmatisation des victimes de viols – et de leurs proches – est telle que nombre d’entre elles se tournent vers des mesures dévastatrices et radicales pour y faire face.

« Les victimes de violences sexuelles s’enfuient et se cachent parce que leur famille menace de mettre fin à leur vie pour laver le déshonneur », explique une conseillère de Gedaraef, qui ne souhaite pas être nommé pour des raisons de sécurité.

Un certain nombre de filles ont déclaré que leurs frères, pères et oncles leur avaient fourni des couteaux et leur avaient demandé de « mettre fin à leurs jours si elles étaient menacées de viol ».

« Nous ne pouvons pas accéder à la plupart [des survivantes] parce que, premièrement, elles nient la réalité ou ont peur d’être accusées ou prises pour cible. Deuxièmement, elles craignent de perdre la vie si elles révèlent ce qu’elles ont vécu ». Poursuit-elle.

Des vies déracinées, des témoignages pourtant nombreux, un cadre génocidaire avéré

L’agence onusienne a également partagé des rapports alarmants devant ce Conseil de sécurité. Pillages, attaques généralisées d’abris dans les camps, provoquant des déplacements massifs incessants.

La famille d’Aliya* a été attaquée à Al Jazirah, ce qui l’a obligée à fuir à pied. « Ils nous ont tout pris, nous sommes partis sans rien. Ils nous ont battus comme des chiens », témoigne-t-elle dans le rapport des ONG. Leur voyage n’en a pas été moins ardu et dangereux : « Nous avons marché pendant sept jours sous le soleil, sans rien manger. Certaines femmes sont mortes en chemin – il n’y avait pas d’eau à boire, elles sont mortes de soif ».

Comme d’innombrables autres femmes prises dans cette spirale de violence, Aliya est aujourd’hui la seule à s’occuper et à subvenir aux besoins de sa famille déracinée. « Nos hommes sont restés au village. Je ne sais pas où est mon mari… Ils l’ont peut-être tué. Je jure que je ne sais pas ce qu’il est devenu. J’ai six enfants. Nous avons besoin de vêtements, de chaussures, de nourriture, de savon – nous n’avons plus rien ».

Mariam*, s’est enfuie à Kassala après que son mari a été assassiné sans raisons.

« Ils sont venus chez nous, nous ont menacés et ont essayé de prendre mes filles. Je leur ai dit que mes filles étaient mariées. Ils ont ensuite exigé de l’or et de l’argent, mais je leur ai dit que je n’en avais pas. Ils nous ont alors emmenées, ma fille aînée et moi, et nous ont battues. L’une de mes filles est immunodéprimée et je crains qu’elle ne meure de malnutrition », poursuit-elle. « J’utilise mes propres vêtements pour couvrir mon nouveau-né, qui n’a que quatre mois ».

Une réponse humanitaire, mais le financement est déficient

Depuis l’escalade de la violence à Al Jazirah, l’UNFPA a fourni plus de cinq équipes sanitaires mobiles déployées dans l’État de Gedaref, financées par les gouvernements du Canada, de la République de Corée, de la Suède, du Royaume-Uni et des États-Unis.

L’ONU a prévu d’envoyer une équipe de santé supplémentaire à Al Butana, ainsi qu’une unité mobile de santé et de soutien psychosocial à l’hôpital d’Elfao, que d’ores et déjà l’UNFPA a équipé de matériel clinique en relations directe avec la réparation physique d’agressions sexuelles.

Les hôpitaux de New Halfa et de Khashm El Girba à Kassala ont également reçu ces équipements médicaux essentiels.

L’UNFPA soutient actuellement 49 espaces de sécurité pour les femmes et jeunes filles à travers le Soudan, fournissant des services essentiels de prévention et de réponse à la violence basée sur le genre. Mais face à l’escalade de la violence et l’insécurité croissante, il faut faire beaucoup plus pour garantir un accès sûr et rapide à un soutien vital pour toutes les femmes et jeunes filles qui en ont un besoin urgent.

Le veto de Moscou au Conseil de sécurité sur le Soudan met des millions de civils en danger

Loin des yeux, loin du cœur. Tel pourrait être le triste adage de ce conflit armé qui oppose depuis près de 2 ans maintenant au Soudan, les Forces armées soudanaises (SAF) aux Forces de sécurité soudanaises (RSF), ce dernier ayant éclaté en avril 2023. Le projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 18 novembre dernier fait part, entre autres, de son inquiétude et condamne les violations des droits humains et du droit international humanitaire. En outre, il exhorte « toutes les parties au conflit à protéger les infrastructures civiles nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire et à permettre et faciliter l’accès de cette aide, tout en encourageant les partenaires internationaux à l’augmenter ». Tel est synthétiquement l’objet du texte, semblant dérangeant pour le Kremlin.

De nombreuses ONG, dont certaines opérant également dans le Caucase proche de la Russie, ont d’ores et déjà réagit à la position de Moscou. Amnesty International a notamment fait part de sa vive déception face à ce veto honteux. « Une fois encore, la politique fait barrage à la protection des civils et le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas rempli son mandat », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.

« Le Soudan connaît la plus grande crise de personnes déplacées au monde. Faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, tel que prévu dans le projet de résolution, aurait permis de soulager temporairement des millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays ayant besoin d’assistance de toute urgence. Tous les pays qui alimentent le conflit doivent immédiatement cesser les livraisons directes et indirectes d’armes et de munitions aux deux parties et respecter et faire respecter l’embargo du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Darfour. Le Conseil de sécurité doit donner la priorité à la protection de la population civile en étendant l’embargo actuel sur les armes au reste du Soudan. » s’est-il pressé d’enchérir.

Ce veto russe à l’ONU rappelle à quel point les rivalités internationales, les ingérences réelles ou supposées compliquent encore un peu plus la donne dans ce conflit, qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts et déplacés : plus de 11 millions de personnes, dont 3,1 millions à l’extérieur du pays, selon l’ONU.

Si la Russie s’était abstenue lors des précédentes résolutions sur cette guerre, ce veto confirme un alignement de plus en plus clair avec le camp du général Burhane, selon les experts interrogés par GEOpolitics.fr

Au-delà de ces chiffres qui en disent long sur l’ampleur de la crise humanitaire au Soudan, les deux camps se livrent simultanément à des crimes de guerre à grande échelle, allant du bombardement de zones résidentielles au pillage de l’aide humanitaire, en passant par l’utilisation systémique du viol contre les Soudanaises.

*Les noms ont été modifiés pour des raisons de confidentialité et de protection.

Vous aimerez aussi

Geopolitics.fr traite de l’actualité et analyse les questions politiques, internationales et de défense dans une perspective gaullo-chiraquienne et dans une démarche participative.

Newsletter

Abonnez-vous à ma newsletter pour de nouveaux articles de blog, des conseils et de nouvelles photos. Restons informés !

Dernières News

@2024 – All Right Reserved. Site réalisé par  Aum Web
Voulez-vous vraiment déverrouiller cet article ?
Restant à déverrouiller : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?