[REPORTAGE EXCLUSIF] Au Liban, le Hamas comble la disparition des services publics auprès des communautés palestiniennes
La nature a horreur du vide, tel est l’adage. Le mouvement armé trônant en bonne place de l’actualité internationale fournit des services et de l’aide aux réfugiés palestiniens au Liban, où il surfe sur une vague de popularité liée à son implication dans les combats contre Israël à Gaza.
A Saïda, l’accès aux services de base et sociaux organisé par le Hamas
Un petit quartier de la ville de Sidon, dans le sud du Liban, également connue sous le nom de Saïda, fait figure de petit paradis par rapport aux communautés avoisinantes.
Les près de 3 000 habitants du quartier, dont la grande majorité sont palestiniens, ont accès à un large éventail de services disparus depuis de longs mois maintenant au Liban, un pays où les services publics se sont pour la plupart effondrés après des années de crise économique, mais aussi de grande instabilité politique.
En quête permanente de popularité, fort de son prosélytisme tant religieux que politique, le curieux mérite des services rendus au sein de cette communauté de quartier revient au groupe armé et mouvement politique palestinien Hamas.
C’est ainsi que grâce au denier ainsi qu’à la logistique de l’organisation, qualifiée de terroriste par la communauté internationale, les habitants ont accès à l’eau potable fraîche quatre jours par semaine. Les rues sont propres et bien éclairées la nuit, l’accès à l’électricité domestique est régulé et distribué aux ménages. Les jeunes du quartier ont même accès à un centre de loisirs équipé d’un baby-foot, de sacs de boxe et d’équipements de musculation qu’ils peuvent utiliser à volonté, mais surtout gratuitement.
La crise économique et le désordre politique au Liban isole les réfugiés palestiniens au pays du cèdre.
Avant la crise, la communauté des réfugiés et globalement peu importe leurs provenances, était confrontée à une discrimination systémique ainsi qu’à de nombreux obstacles juridiques la plongeant dans une pauvreté certaine. Il est peu dire que la « générosité d’apparence » du Hamas est donc accueillie à bras ouverts, prosélytisme inclus.
Le mouvement extrémiste, dans une organisation rigoureuse proche du modèle de pays développés, a réussi à mettre en place une forme de services sociaux de base dont le budget est inconnu, tant dans son montant que sa provenance.
Et le succès politique est au rendez-vous. Ses réseaux non officiels de protection sociale à Gaza et en Cisjordanie ont largement contribué à sa victoire électorale en Palestine en 2006. Au Liban, la popularité du Hamas est aujourd’hui en pleine croissance alors que le groupe combat l’armée israélienne à Gaza.
« Nous continuons à servir notre peuple avec ce que nous avons et ce que nous pouvons faire », me confie un dirigeant local du Hamas à Sidon, sous le pseudonyme de guerre Abou Abed Shanaa.
« Nous ferons tout ce qui pourrait bénéficier au peuple palestinien », assure l’homme de 53 ans qui accepte de me rencontrer dans un ancien parking du quartier, qu’il a contribué à transformer en mosquée.
Ce lieu de culte est par ailleurs devenu rapidement un centre communautaire animé pour la petite communauté de Sidon, où sont régulièrement organisés des prières bien sûr, mais aussi « des programmes » pour les jeunes, des mariages pour les couples qui n’ont pas les moyens de se payer une salle de réception ailleurs.
Quand je rencontre Abou Shanaa, durant le mois sacré musulman du Ramadan, la mosquée est un lieu de vie particulièrement animé. Les garçons sont nombreux à suivre un cours d’éducation islamique, qui se déroule dans une pièce adjacente, tandis que hommes chefs de familles viennent s’enquérir auprès du maître des lieux, quand seraient prêts les colis alimentaires du Ramadan.
Le Hamas, comme d’autres partis propalestiniens au Liban tel que le Hezbollah bien que chiite, effectue également des dons monétaires et alimentaires pendant le mois sacré musulman, même si cette année, d’après Abou Shanaa, les dons pour le Ramadan sont réduits en raison de l’implication du Hamas dans les combats à Gaza.
Au-delà de l’aide alimentaire pour le Ramadan, « le chef local » coordonne des camps d’été à destination des jeunes, promeut des équipes sportives, organise des collectes de fonds pour les malades et les femmes qui ont récemment accouché, et résout même les conflits interfamiliaux !
« L’organisation » a également été l’artisan de plusieurs projets d’infrastructures communautaires qui, selon lui et d’une manière sans équivoque, ont tous contribué à « rapprocher les familles » du Hamas et de sa ligne de conduite.
Instaurer la confiance par une diplomatie informelle
En voisinage très proche de la communauté palestinienne, à une minute de route à peine du quartier dirigé par le Hamas, se trouve un village chrétien. Abou Shanaa m’explique que la clé pour instaurer la confiance quant à la présence du groupe dans la région, a été la coopération avec leurs voisins chrétiens et la municipalité libanaise.
Pourtant, l’essentiel des critiques et réactions concernant la présence de groupes armés palestiniens sur le sol libanais, est toujours venu historiquement des communautés et des partis chrétiens du pays.
D’ailleurs, cela a été largement confirmé dans un sondage réalisé par le Washington Institute après l’attaque du Hamas en Israël ce 7 octobre, 79 % des Libanais ont généralement exprimé une opinion positive du mouvement palestinien, mais parmi les chrétiens, les avis positifs sont moins importants, 59 % des interrogés.
Mon guide pour ce reportage, a déménagé dans le quartier en 2000 et indique qu’à l’époque, l’eau ne coulait qu’une fois toutes les deux semaines environ. Il n’y avait pas d’éclairage public et les routes étaient à peine praticables du fait de leur état.
Ce dernier vivait auparavant à Ain al-Helweh, à Sidon, le plus grand camp de réfugiés palestiniens du pays. Déjà son père, enfant, avait dû fuir le village familial près d’Akka, au nord du territoire palestinien, lors de son attaque par les forces israéliennes en 1948.
Même si les chiffres évoluent au gré des flux de populations et des événements régionaux, l’UNRWA estime qu’environ 250 000 réfugiés palestiniens résident au Liban d’une manière permanente. Bien que nombre d’entre eux vivent dans le pays du cèdre depuis plus de 75 ans, ils n’ont toujours pas accès à plusieurs droits fondamentaux, dont celui à la propriété foncière, le droit de vote, le peu d’aides sociales ou médicales existantes au Liban.
Pour Abou Shanaa, il n’est pas question de parler d’une quelconque « conquête de territoire » ou d’une « nouvelle colonisation » d’opportunisme ! Peu après son arrivée dans le quartier, ce dernier m’explique qu’elle a été la « méthode » : en parfaite collaboration avec la municipalité de Sidon, il a été question de former un comité avec « toutes les courants religieux et tous les partis », à la fois libanais et palestiniens, dans le but d’élaborer des projets d’infrastructure.
El les bras de ce comité a commencé par creuser des puits d’eau potable, pour un coût total d’environ 5 000 dollars. Le Hamas aurait de son côté fait don de 2 000 dollars, toujours selon Abou Shanaa, sans précisions sur le pays émetteur. La seconde opération a porté sur la réfection des routes d’accès au quartier, ainsi qu’à la mise en place de l’éclairage public et des réseaux électriques.
« Le maire était très content de notre travail », me rapporte non sans un sourire aux lèvres, Abou Shanaa. « Nos efforts ont permis aux familles, aux forces [de sécurité] libanaises et à la municipalité de nous apprécier davantage parce que les choses étaient mieux organisées. » Evidemment.
Quelques années plus tard en 2004, le chef de clan a organisé un projet de construction d’un trottoir et d’une zone piétonne menant au quartier : là encore, financé à 80 % par le Hamas et 20 % par la municipalité.
Puis en 2009, le comité s’est rapproché d’un chrétien libanais propriétaire d’un terrain inutilisé dans la zone, visant à le transformer en terrain de football. Nouveau succès. Le Hamas a contribué au projet à hauteur de 11 000 dollars, m’indique Abou Shanna.
« Avec l’espace nécessaire pour s’engager dans des activités saines et participer à des programmes communautaires, les jeunes ont vu diminuer leurs taux de consommation de drogues et d’alcool », me précise Abou Shanaa. « Nous avons contribué à rétablir l’ordre, les gens nous ont acceptés et nous ont davantage respectés » résume-t-il.
Sous sa bannière, le Hamas a depuis coordonné une variété de projets et de programmes pour le quartier. Abou Shanaa note qu’il existe de nombreuses autres communautés soutenues par le Hamas au Liban, similaires à celle de Sidon.
Une popularité croissante au Liban, une cohabitation paisible mais des intérêts certains
Même si le Hamas est présent au Liban d’une manière plus visible depuis les années 1990, beaucoup le considéraient jusqu’alors comme un « groupe marginal » par rapport aux acteurs politiques palestiniens majeurs comme le Fatah, indique Mohanad Hage Ali, chercheur au Carnegie Middle East Center basé à Beyrouth.
« Au début, les branches libanaises du Hamas ne se concentraient pas sur la lutte armée », m’explique-t-il. « Ce n’est qu’en 2017, lorsque le Hamas s’est réconcilié avec le Hezbollah à la suite d’un schisme lié à la guerre civile en Syrie, que le groupe est devenu plus militant et a commencé à s’étendre considérablement dans le pays », développe le chercheur.
En suite du krach financier de 2019 et la « mort lente de l’État libanais » en pleine crise économique mais aussi de débâcle politique, le Hamas a vu une opportunité de se développer davantage dans les camps palestiniens et de lancer des activités militaires qui n’étaient pas possibles auparavant, analyse Mohanad Hage Ali.
Depuis le 7 octobre, la branche militaire du Hamas et ses brigades al-Qassam, a mené de multiples attaques contre Israël depuis le sol libanais. Le groupe armé gère également un vaste réseau de recrutement et d’entraînement depuis le Liban.
« Aujourd’hui, en temps de guerre, la popularité du groupe lui permet de recruter à des « niveaux sans précédent » au Liban, aidé par des financements relativement importants, probablement en provenance d’Iran », m’explique Hage Ali.
Malak al-Ali, une jeune femme de 26 ans qui vit dans le camp d’Ain al-Helweh, estime-t-elle aussi que le Hamas a gagné en popularité : « Nous sommes très fiers du Hamas en ce moment. Je suis si fière de ce qu’ils font pour combattre le génocide à Gaza », exprime-t-elle.
La popularité croissante du Hamas a une conséquence : la perte d’influence notable du Fatah, son adversaire politique au Liban.
Ces dernières années, le Fatah dont la stratégie à l’égard Israël consiste principalement à s’engager dans la voie des négociations plutôt que la lutte armée, est de longue date affaiblie notamment du fait de l’échec du processus de paix israélo-palestinien, mais aussi plus globalement de part son incapacité à apporter des résultats concrets sur le quotidien localement.
Le Hamas quant à lui, travaille sa généreuse popularité sur le terrain, alors que son concurrent à l’humilité sélective, est réputé pour distribuer de l’aide uniquement aux membres du parti à Sidon.
Malak estime quant à elle, que le Hamas est la faction politique palestinienne la plus honnête : « Le Hamas aide tout le monde, tandis que d’autres volent plus qu’ils n’aident », me confirme-t-elle.
La jeune femme a deux enfants, âgés de sept et huit ans, inscrits dans les écoles du camp gérées par l’UNRWA. Cette dernière trouve que ces écoles sont surpeuplées et que la qualité de l’éducation y est médiocre, car l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, à l’instar d’autres organisations humanitaires, sont souvent à court d’argent.
« Je ne vois pas [les agences humanitaires] aider beaucoup. Elles ne peuvent pas aider tout le monde », observe Malak.
De sources israéliennes, jusqu’ici non démontrées et même contredites par le “rapport Colonna”, selon lesquelles plusieurs membres du personnel de l’UNRWA auraient été impliqués dans l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier, les principaux donateurs de l’agence onusienne ont retiré leur financement, remettant ainsi en cause la survie de cette dernière, qui était déjà en difficulté financière. Depuis, l’organisation a repris une activité sans pour autant plus de moyens.
Dans les couloirs feutrés des chancelleries, l’analyse a semblé évidente : l’arrêt des services de l’UNRWA sous contrôle occidental, pourrait constituer une opportunité supplémentaire pour le Hamas d’étendre son influence sur de nouveaux quartiers désertés par les ONG.
« L’UNRWA est censée apporter une aide globale destinés aux Palestiniens, mais elle a été entravée par les intérêts sionistes du monde entier qui veulent que la question palestinienne soit abandonnée », déplore le chef de quartier Abou Shanaa.
« Malgré tout ce qui se passe, le Hamas demeure solide et reste aux côtés de son peuple. Nous n’abandonnerons jamais notre peuple », conclut-il.
Avant de se séparer, Abou Shanaa tient à me montrer un document précieux : le titre de propriété de ses quelques terres en Palestine, qu’il continuera de conserver jusqu’au retour de sa famille. « La terre nous appartient et nous y avons droit. Des gens sont venus et ont volé nos maisons. Nous voulons nos maisons, rendez-les-nous. Voilà ce que vous devez rapporter au monde entier, vous les journalistes ».
Sur la route du retour vers Beyrouth et alors que je quitte Saïda, un curieux sentiment me traverse. Je suis très partagé. Et si finalement dans ce pays dévasté par des décennies de conflits, tant civils que militaires, entre autres catastrophes, je n’avais pas vu le « moins pire ». Bien qu’il m’ai été très compliqué de recueillir des témoignages contradictoires, là où la discrétion et l’intérêt bien légitime d’une obligation d’adhésion est question de survie.
En cette entrée dans l’hiver et alors que je m’apprête à publier ce reportage réalisé au printemps dernier, il n’échappera à personne que la situation au Liban a tristement évoluée.
Un Hezbollah local et régional bien trop occupé à guerroyer
Le mouvement chiite libanais est lui, bien plus occupé à jeter de l’huile sur le feu régional qu’à se soucier de la misère galopante sur son propre territoire. Soutenu dans son action armée, tout autant politique que terroriste, et très largement financièrement par le régime iranien depuis les années 80, l’histoire du Hezbollah (« Parti de Dieu ») est intimement liée à la résistance armée contre Israël, revêtant l’habit d’une milice incontrôlable aux yeux de la communauté internationale. Double discours, double visage : dans sa vaine tentative de se voir blanchir au regard du monde, le Hezbollah prend systématiquement place aux élections nationales libanaises depuis 1992 comme une force politique intérieure majeure.
Considéré comme une organisation terroriste par les pays occidentaux, Israël, les pays arabes du Golfe et la Ligue arabe, ses attaques sporadiques à l’égard d’Israël se sont intensifiés le 8 octobre dernier, au lendemain de l’attaque sans précédent du Hamas contre I ’Etat hébreux.
Selon les Nations Unies, cette nouvelle guerre a forcé 1,2 millions de Libanais à quitter leur domicile et le bilan s’élève à 3670 tués. Jusqu’alors et malgré les tensions viscérales entre les deux pays, les observateurs affirmaient que, les deux parties s’efforçaient de contenir les hostilités sans franchir la ligne d’une guerre à grande échelle. L’épisode inédit de l’explosion « des pagers » viendra incontestablement contredire cette analyse.
Les Libanais abandonnés
Compte tenu de la complexité du système politique libanais, basé sur une répartition des pouvoirs entre différentes communautés religieuses, il est impossible pour le Hezbollah de gouverner seul au Liban. Il est ainsi contraint de se forger des alliances multiconfessionnelles. Sans consensus politique entre les différentes communautés depuis 2022, le Liban se retrouve complètement paralysé. Plus personne ne gouverne, l’Etat a disparu tout comme un quelconque espoir de sa population. De l’actuel gouvernement fantoche, seuls deux ministres sont issus du Hezbollah : celui chargé des Travaux publics et celui de la Culture.
Force est de constater que bien loin de se préoccuper de la survie de la population libanaise, le Hezbollah possède même un réseau financier parallèle à celui de l’État même dont il est censé faire partie, opérant en marge du système bancaire libanais. Aussi, le Hezbollah est le seul « parti politique libanais armé » depuis la fin de la guerre civile des années 1990.
Alors, loin des yeux, loin du cœur de la communauté internationale ? C’était sans conteste le cas jusqu’à ce que ce 28 septembre plonge le Liban dans le chaos, comme un bien triste remake de 2006.
Ce jour où Tsahal, dans les frappes meurtrières monopolisant les antennes du monde entier poussant enfin les regards vers le pays du cèdre, a éliminé le Chef de guerre du Hezbollah Hassan Nasrallah.
L’éternelle question, ce vieux serpent de mer libanais : Qui ou que viendra combler une nouvelle fois le vide sidéral laissé derrière les multiples catastrophes, quasiment toutes générées par l’homme à l’encontre de l’homme, de ce confetti sur la carte ô combien millénaire des rives de la méditerranée ?