Un nouveau projet de résolution concernant la guerre en territoire palestinien, douzième du nom depuis les attentats du 7 octobre 2023, relégué à la corbeille à papier du Conseil de sécurité. Une nouvelle fois du fait d’un veto des États-Unis. C’est la quatrième fois que les États-Unis mettent en échec un projet de résolution sur la question gazaouie. Les 14 autres membres du Conseil ont voté eux, en sa faveur.
A grands renforts habituels d’arguments rhétoriques voilant à peine le fond de leur position à l’égard de l’Etat Hébreu, les États-Unis ont justifié leur vote en se pourfendant du « cynisme » de certains membres du Conseil ayant préféré « provoquer » leur veto plutôt que de rechercher une rédaction « sous forme de compromis » du texte, notamment sur la question des otages « irrémédiablement liée » à celle du cessez-le-feu. Le pseudo-gendarme du monde a encore frappé, bien certainement sur la bannière de ses intérêts propres !
C’est un nouvel épisode depuis le 10 juin dernier et l’adoption arrachée de la résolution 2735-2024, par 14 voix « pour » et l’abstention de la Fédération de Russie, alors que le Conseil était appelé à se prononcer sur un texte concernant la guerre à Gaza. Comme l’a dit le représentant de l’Algérie après le vote, le projet de résolution présenté visait uniquement à interrompre le « silence écrasant » qui règne depuis cinq mois sur cet interminable conflit ravageur. Le texte, a-t-il ajouté, « était loin d’être parfait, mais il représentait le minimum de ce qui aurait dû nous unir ». Ainsi, la messe est dite.
Un texte à minima, dès fois que…
Proposé et rédigé par le Guyana au nom des 10 membres élus du Conseil, le texte entendait répondre prioritairement à la crise humanitaire frappant de plein fouet les déplacés de Gaza. Dans un effort notable, la représentante du Guyana a en préambule, présenté les points clefs du projet de résolution : « fruit de plusieurs semaines de négociations intensives entre les membres du Conseil » et y a même conclu à « une approche inclusive et constructive ».
Le texte exigeait notamment un « cessez-le-feu immédiat, inconditionnel, permanent et respecté par toutes les parties ». Evidemment. Tout en soulignant l’importance de « la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages ». Rappelant par la même aux parties « leur devoir de respecter pleinement le droit international et de se conformer aux résolutions précédentes du Conseil, en particulier la résolution 2735 adoptée en juin ». Et là, au-delà des bonnes intentions, cela ne passe plus.
Sur le plan humanitaire pour ne dire simplement humain, le projet de résolution visait à garantir un « accès immédiat aux services de base et à l’aide humanitaire essentielle », et réprouvait « tout effort visant à affamer les Palestiniens ». Le texte proposait en outre une entrée rapide et sans entrave de l’aide humanitaire à travers Gaza, en insistant sur sa distribution équitable à tous les civils, « y compris les civils de Gaza-Nord assiégée », et ce, « sous la coordination de l’Organisation des Nations Unies ». Enfin, le propos reconnaissait également le rôle central de l’UNRWA (NDLR : Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), comme « épine dorsale de la réponse humanitaire à Gaza », en engageant toutes les parties au conflit de permettre à l’organisation de remplir son mandat dans toute la région, sans entrave. La goutte de trop pour Washington ?
Une tentative d’arguments États-Uniens : America first ?
« Nous avons dit très clairement que nous ne pourrions pas appuyer un cessez-le-feu sans condition n’aboutissant pas à la libération des otages », a rétorqué le représentant des États-Unis, pour qui ces deux objectifs sont « irrémédiablement liés ». Selon ce dernier, la résolution envisagée aurait envoyé un « message dangereux au Hamas », leur suggérant qu’il n’est plus nécessaire de négocier alors que plus de 100 otages, dont des citoyens américains sont toujours détenus. Nous y voilà.
Critiquant, dans l’envolée de leur représentant, la réticence de certains membres du Conseil à condamner sans réserve les attaques du 7 octobre, les États-Unis ont rejeté sur le Hamas la responsabilité de la mise en danger de millions de civils palestiniens, ainsi que de l’embrasement de la région. En outre, pour la diplomatie de l’oncle Sam de rappeler leur collaboration constante avec l’Etat Hébreu visant à renforcer l’acheminement de l’aide humanitaire et minimiser les souffrances civiles. « Un cessez-le-feu sans condition avec le Hamas signifierait l’acceptation de leur mainmise sur Gaza. Nous ne l’accepterons jamais », a asséné leur représentant avant de réitérer l’engagement de son pays à poursuivre ses efforts diplomatiques.
Il n’en aura guère fallut plus à la Fédération de Russie de réagir en accusant les États-Unis de signer un « nouvel arrêt de mort de dizaines de milliers de Palestiniens ». Saisissant la balle au bond, le représentant russe a ainsi qualifié la position amériaine d’agissement « inhumain et irresponsable », allant même à l’encontre des intérêts Israéliens. Voyant dans ce veto « la manifestation de la propension des États-Unis à attiser des conflits et à violer la souveraineté des pays dans les affaires desquelles ils s’ingèrent ». Ambiance.
Un veto américain intolérable pour la Fédération de Russie
Il n’en fallait pas moins pour faire réagir Moscou. Si le texte proposé par le Guyana avait été adopté, toutes les revendications des États-Unis auraient pu être satisfaites selon le diplomate russe, qui n’a pas manqué de pointer du doigt les raisons « incompréhensibles » données par ce membre permanent, afin de justifier une nouvelle fois son faire-valoir au sein du Conseil. Puis de rappeler que « la délégation américaine a, par exemple, exercé son droit de veto le 18 octobre 2023 pour bloquer un texte qui condamnait noir sur blanc les attaques du 7 octobre ». Puis d’ajouter dans un récit plutôt clair et étayé que « les causes des atrocités commises depuis cette date sont ancrées dans le fait historique que des pays occidentaux ont laissé se créer un État aux dépens d’un autre au Moyen-Orient, a-t-il encore accusé. « Nous ne laisserons pas les Américains faire taire le Conseil et la voix des Palestiniens », a-t-il enfin promis moquant ainsi la tendance outre-Atlantique à faire vivre « un jour sans fin » en se targuant systématiquement de la même rhétorique. En clair, celle de ses propres intérêts avant tout.
La Chine n’a pas manqué également de fait part de sa déception, le veto américain ayant selon son représentant, « balayé tous les espoirs du peuple de Gaza ». « L’histoire sera juge de nos actes comme de nos inactions, et les générations futures sauront qu’après chaque veto américain le tribut du conflit à Gaza n’a cessé d’augmenter », a-t-il affirmé. Pour Pékin, mettre son veto aux yeux du monde à un tel texte, « revient à donner carte blanche à Israël afin que ce dernier poursuive sa tuerie de masse ». Une accusation plusieurs fois déjà formulée par l’Algérie, dont le représentant s’est dit là encore « désolé qu’un membre permanent envoie le message insensé que la puissance occupante israélienne peut continuer à punir collectivement le peuple palestinien et à poursuivre son génocide en toute impunité ». « Les États-Unis doivent cesser d’être passifs et permettre au Conseil de sécurité d’imposer sans délais un cessez-le-feu », a encore souligné le représentant chinois.
D’une même voix bien que fébrile, La France et le Royaume-Uni (NDLR : la France qui a rappelé par la même que deux de ses ressortissants font toujours partie des otages du Hamas), ont regretté que le texte dont ils ont dit partager la vision et les objectifs humanitaires, n’ait pas pu être adopté. Réitérant au passage leur engagement de continuer à œuvrer aux côtés de leurs partenaires afin de mettre un terme à cette guerre, puis d’obtenir la libération de tous les otages, protéger les civils et enfin garantir l’acheminement de la quantité d’aide humanitaire requise. Cela ne manque pas pain, comme dirait l’autre…
Du côté des « sans voix », autrement dit les 10 membres
Coauteurs du texte, tous ont fait part de leur profonde déception. Déjà précédemment citée, Alger a évoqué un « jour triste pour le Conseil de sécurité, l’ONU et la communauté internationale. Gaza, la ville des enfants, est devenue la ville des orphelins », s’est-elle lamentée.
« Plus de cinq mois après l’adoption de la résolution 2735, ce projet réaffirmait notre engagement pour un cessez-le-feu immédiat, inconditionnel et permanent, pour la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages et pour l’acheminement sûr, rapide et sans entrave de l’aide humanitaire aux populations civiles », a indiqué de son côté la traditionnelle aidante Suisse. Malte la discrète, lui emboîtant le pas déplorant que « le Conseil n’ait pas été en mesure d’adopter un projet de résolution, qui représentait pourtant le minimum pour commencer à remédier à une situation catastrophique devenue indicible ».
Pour sa part, le représentant nippon a quant à lui considéré que « cette non-adoption ne devait pas être l’occasion d’échanger des accusations vaines et a tenu à rappeler que le membre permanent du Conseil qui n’a pas pu soutenir le projet de résolution travaille sans relâche pour mettre fin cauchemar de Gaza ». Fin de citation.
Une passe d’armes sans goût ni saveur, sans même un sens commun, un sens tout court
Prenant la parole après un nouvel échange d’invectives stériles entre la bannière étoilée et le Kremlin, s’accusant mutuellement dans un mélange des genres à peine audible d’actes de « barbarie » au Moyen-Orient et en Ukraine, le représentant de (ce qui devrait être) l’État de Palestine a dénoncé une « tentative d’annihilation orchestrée par Israël, affirmant qu’il n’existe aucun droit justifiant les massacres, les déplacements forcés ou l’affamement des civils ». Sans blague…
L’émissaire palestinien rappelant que « des milliers de Palestiniens, y compris des enfants, ont péri sous les décombres à Gaza et que la famine s’y propage, décrivant une « réalité quotidienne insupportable ». S’indignant du traitement infligé à son peuple, ce dernier a lancé non sans tapant du poing sur la table : « Nous avons la mauvaise nationalité, la mauvaise religion, la mauvaise couleur de peau, mais nous sommes des humains avant tout et devons être traités comme tels! ». Point.
Bien entendu le représentant palestinien a vu dans le blocage made in USA, un « message dangereux encourageant l’éternel allié Israël à poursuivre ses actions en toute impunité ». Accusant même ce dernier de rejeter toute offre de cessez-le-feu qui ne serait pas de sa propre conception, autorisant ainsi l’Etat Hébreu à annexer davantage encore de terres palestiniennes. En appelant en outre l’Assemblée générale des Nations Unies à agir là où son Conseil de sécurité a échoué, le diplomate palestinien a plaidé pour un avenir libéré de l’occupation et des violences, en concluant: « Ce monde peut exister aujourd’hui si nous décidons d’agir. »
Dans le match oratoire auquel le Conseil nous a tristement habitué, le représentant d’Israël s’est quant à lui fendu d’une condamnation ferme de ce projet de résolution, affirmant « ignorer les souffrances des otages et légitimant la brutalité du Hamas ». Accusant même « la plupart des membres du Conseil » d’avoir « trahi leurs propres principes, leur devoir de défendre la justice ». Puis enfin d’estimer qu’en adoptant le texte, le Conseil « aurait envoyé un message au monde disant que les terroristes peuvent agir en toute impunité, que l’ONU protégera ces assassins ces violeurs, plutôt que de les traduire en justice ».
Puis de se pourfendre d’un « l’Etat d’Israël remercie les États-Unis d’être restés du côté de la morale et de la justice, d’avoir refusé d’abandonner les otages et leurs familles », se plaisant à rappeler des fois que, les 101 otages restant détenus dans des conditions inhumaines et dans les mains arabes. Rappelant à qui veut bien l’entendre de nouveau, là encore des fois que, l’attribution au Hamas de la responsabilité du conflit et des pertes civiles.
Dans ses éléments de langage habituels, incontestables sur le fond pour tout Etat qui se respecte et à minima sa population, Israël a réaffirmé que sa priorité était de protéger ses citoyens et de libérer les otages. « Nous ne cesserons jamais de combattre pour obtenir leur libération », a martelé ainsi le délégué, rejetant tout cessez-le-feu « tant que le Hamas ne déposerait pas les armes ». En concluant comme un rappel subliminal à l’histoire des 19ème et 20ème siècles : « l’histoire se souviendra de ceux qui ont défendu les principes de paix et de ceux qui les ont trahis ». Balle de match, la balle au centre. Et durant ce temps, les vraies balles elles, continuent de siffler.
Droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, ce serpent de mer infernal
Droit de veto ou droit de blocage du monde ? Cette disposition du Conseil de sécurité des Nations unies est un droit accordé uniquement aux cinq membres permanents de ce Conseil, à savoir la Chine, la France, le Royaume-Uni, la Russie et les États-Unis. Cette prérogative et non des moindres, leur permet de bloquer toute résolution « de fond », quelle que soit l’opinion majoritaire au Conseil. Ces cinq membres permanents exercent ce droit quand ils votent par la négative, en sachant que toutefois une abstention ou une absence de position n’est pas considérée comme un veto. Pour les votes concernant les questions de procédure, le droit de veto ne peut pas être exercé, ce qui permet ainsi au Conseil de pouvoir débattre d’un projet de résolution même s’il est fort probable qu’un des cinq y mette son veto.
Le droit de veto est de plus en plus controversé. De nombreux analystes et spécialistes du droit international, voient dans cette disposition l’élément le plus antidémocratique de l’ONU, et la principale cause d’inaction concernant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. En effet et cela se vérifie largement dans les faits, ce droit empêche concrètement les Nations Unies et ses multiples agences, d’une part d’entériner une résolution qui paraît juste à la majorité, mais aussi d’autre part de les imposer aux membres permanents et leurs alliés respectifs du moment. Bien sûr pour les partisans de ce droit de veto, le considèrent comme un facteur de stabilité internationale, et un moyen de contrôler les interventions militaires.
Historiquement, le principe du veto a été ainsi établi afin de protéger les intérêts des membres fondateurs des Nations unies, à l’issue victorieuse de la Seconde Guerre mondiale. Instauré lors de la conférence de Dumbarton Oaks en 1944, prévalant à la création de l’ONU, par les représentants de la république de Chine, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’ex-Union soviétique et de la France, ceux-ci adoptant en outre le statut de membres permanents. La France, même battue et occupée par l’Allemagne nazie, était alors reconnue comme primordiale dans sa position permanente de la Société des Nations, également comme une puissance coloniale de première importance, en Afrique notamment. Les activités des Forces françaises libres aux côtés des Alliés ont ainsi permis au petit pays gaulois de s’asseoir à la même table que les Quatre Grands. Dans son ADN, le droit de veto était notamment justifié par la volonté d’assurer la pleine participation des grandes puissances au sein de l’ONU, à long terme.
Toutefois, l’Histoire aura eu raison de feu la Société des Nations – notamment les retraits de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon, grandes puissances de l’époque – vidant l’organisation de sa substance même. Cherchant à éviter que ne se renouvellent de tels retraits, l’octroi du droit de veto devait garantir une implication plus prononcée et formelle des grandes puissances, et donc du moins en théorie, l’efficacité de la flambante ONU. De parole d’analystes, Il est plus que probable que l’un ou l’autre des membres permanents n’aurait pas adhérer à la nouvelle organisation internationale, en l’absence du droit de veto.
Il faudra attendre avril 2022, pour que l’Assemblée générale des Nations unies entérine la mise en place d’une condition visant à « une explication orale devant l’Assemblée générale dans les 10 jours ouvrables après chaque veto émis par un membre du Conseil de sécurité ». Cependant ce texte non contraignant, n’induit pas de sanctions si cette obligation n’est pas opérée par l’État membre.