Depuis le début de l’offensive éclair menée par le groupe djihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC) associé à d’autres factions rebelles en Syrie, plus de 280.000 personnes ont été déplacées par les combats dans le nord du pays, ont indiqué vendredi dernier des agences des Nations Unies, craignant que ce nombre puisse encore s’aggraver pour atteindre à 1,5 million d’individus.
« Les chiffres dont nous disposons sont de 280.000 personnes depuis le 27 novembre. C’est le chiffre mis à jour en date d’hier soir. Et cela n’inclut pas le nombre de personnes qui ont fui le Liban, lors de la récente escalade des combats entre le Hezbollah et Israël », a déclaré Samer AbdelJaber, Directeur de la coordination des urgences du Programme alimentaire mondial (PAM), lors d’un point de presse régulier de l’ONU à Genève.
A l’heure où nous publions, il ne fait plus mystère que les hostilités dans le nord de la Syrie ont fait tache d’huile à d’autres parties du pays, mettant en « danger les civils et les travailleurs humanitaires, causant de graves dommages aux infrastructures essentielles et perturbant les opérations humanitaires », comme le craint à juste raison l’agence onusienne.
L’ONU craint que le nombre de déplacés atteigne le chiffre alarmant de 1,5 million
« Et si la situation continue d’évoluer à ce rythme, nous nous attendons à ce que, collectivement, environ 1,5 million de personnes soient déplacées et aient besoin de notre soutien », a ajouté Samer AbdelJaber.
En effet, un rapport présenté la veille par le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) indiquait qu’au moins 178.000 personnes ont été déplacées en raison des récentes escalades dans le nord de la Syrie, selon un décompte effectué le jeudi 5 décembre dernier. Parmi ces déplacés, 128.000 sont de nouveaux déplacés et 39.000 ont été contraints de fuir leur domicile au moins deux fois. Un bien triste chiffre.
Des milliers de personnes affectées continuent de fuir les zones et de chercher refuge dans des endroits plus sûrs à l’intérieur des gouvernorats affectés et dans d’autres gouvernorats. Des milliers de personnes se sont temporairement déplacées vers le nord-est de la Syrie, en passant par les points de passage de Tabqa et de Bu Assi.
À Tabqa, 35 bâtiments ont été affectés à l’accueil des personnes déplacées. La situation à Ar-Raqqa est chaotique, bien que plus de 70 bâtiments aient été désignés comme centres collectifs temporaires, la vague de déplacement dépasse la capacité d’accueil, obligeant les gens à dormir dans les rues et dans leurs voitures. Depuis le 4 décembre, quatre nouveaux sites d’accueil ont été établis dans les villes d’Ain Al-Arab, Al-Hasakeh et Qamishli, où plus de 400 familles sont déjà hébergées.
En somme, ce constat factuel et chiffres est bien éloigné des imaginaires scènes de liesse des commentateurs occidentaux peu avisés. Ou intéressés ?
Un lourd tribut pour les populations civiles
D’une manière générale, la situation sécuritaire en Syrie reste très préoccupante avec une intensification des hostilités depuis le 27 novembre, en particulier dans les régions du nord et du nord-ouest, notamment dans les gouvernorats d’Alep, d’Idleb, de Hama et Homs. Bien que le nombre exact de victimes reste à confirmer, l’ONU estime que des centaines de civils ont perdu la vie ou ont été blessés au cours des sept derniers jours.
« Au moins 69 civils auraient été tués, dont 26 enfants et 11 femmes, et plus de 200 blessés ont d’ores et déjà recencés, principalement dans le nord-ouest de la Syrie. Par ailleurs, plus de 370 civils auraient été tués à Hama en raison des affrontements en cours », précise l’OCHA dans son dernier rapport de situation humanitaire.
Faute d’approvisionnements suffisants, une insécurité alimentaire grandissante
Faute de livraisons et d’approvisionnements suffisants, les produits alimentaires de base se raréfient, en particulier le pain, aggravant notablement les fluctuations des taux de change et l’inflation qui ont déjà entraîné une forte hausse des prix des denrées alimentaires et d’autres produits de base. « Compte tenu de la fluidité du conflit, il est difficile d’estimer avec précision les niveaux de stocks dans les boulangeries, et cela nécessitera une surveillance continue », estime l’organisation onusienne.
Sur la base des retours de terrain datant de quelques jours, les boulangeries de la ville d’Alep ne seront en mesure de fonctionner que pendant environ un mois. Aussi, un manque évident de rations « prêtes à manger d’urgence » distribuées aux populations déplacées dans la région d’Idleb se fait belle et bien sentir. « Les besoins exacts sont difficiles à estimer, la situation évoluant quotidiennement, le nombre d’arrivées augmentant et les déplacements des partenaires humanitaires étant limités par les hostilités en cours et l’insécurité qui règne », constatent les observateurs sur place.
En outre à Alep, dans le nord de Hama et à Idleb, l’accès aux soins ainsi qu’à l’aide humanitaire a été sévèrement limité. Les déplacements ont exacerbé des conditions de vie déjà difficiles des populations civiles, augmentant le risque de malnutrition en particulier pour les enfants de moins de cinq ans.
Une disparition complète des services publics à Alep
Sur un autre plan et faute d’un système institutionnel en ordre de marche, les services publics et les installations essentielles à Alep sont interrompus ou ne peuvent fonctionner en raison de la pénurie de fournitures médicales et de personnel mobilisé sur les différents fronts. L’escalade de la violence a gravement affecté le système de santé local, entraînant la suspension des interventions chirurgicales et de la distribution de traitements lourds dans les pathologies chroniques et ce, dans les principaux établissements de santé d’Alep et d’Idleb.
Dans le nord-est, non seulement les centres collectifs d’urgences se remplissent en quelques heures dès qu’ils sont mis en place, mais les centres d’accueil permanents sont également dépassés par l’afflux et, par des températures négatives, nombre de familles n’ont d’autres recours que de dormirent dans les rues et dans leurs voitures quand elles ont la chance d’en posséder. Sur place, de nouvelles évaluations sont en cours afin d’identifier les besoins des familles nouvellement arrivées.
« Bien entendu, les partenaires humanitaires travaillent des deux côtés de la ligne de front. Nous essayons d’atteindre les communautés là où elles ont besoin d’aide et nous travaillons avec nos équipes sur le terrain pour sécuriser les itinéraires afin de pouvoir acheminer l’aide et l’assistance aux communautés qui en ont besoin », a ajouté Samer AbdelJaber.
1,5 million d’enfants privés d’école à Idleb, Alep et Raqqa
Par ailleurs, près de 1,5 million d’enfants sont désormais privés d’éducation à Idleb, Alep et Ar-Raqqa en raison de la fermeture des écoles. Plus de 1.000 établissements scolaires sont maintenant utilisées comme abris de fortune. En conséquence des événements récents, plus de 60 écoles à Ar-Raqqa et Tabqa sont maintenant utilisées afin d’accueillir les populations déplacées.
« Comme le nombre d’arrivées continue d’augmenter, on s’attend à ce que d’autres écoles soient réaffectées à Ar-Raqqa, Tabqa, Ain Al Arab, Al-Hasakeh et Quamishli, ce qui entraînera l’interruption de l’enseignement », rapporte les personnels humanitaires sur place.
Ces mêmes partenaires humanitaires ayant fait le choix de rester dans les différentes zones d’intervention, se coordonnent étroitement afin d’assurer un partage rapide des informations sur les déplacements, la localisation des sites d’accueil potentiels et bien évidemment sur les besoins nouveaux.
« Je dois dire que nous savons collectivement que la situation en Syrie n’était pas facile avant cette escalade. C’est pourquoi nous insistons sur le besoin urgent de financement, d’un financement flexible afin que nous puissions soutenir tous les efforts des partenaires humanitaires pour se prépositionner et être prêts à faire face à n’importe quel scénario en termes de déplacements qui pourrait évoluer dans les jours ou les mois à venir », a conclu le Directeur de la Coordination des urgences et de la diplomatie humanitaire du PAM.