Erwan Davoux: « Sous Hollande et Macron, notre politique étrangère a connu un déclassement très important »

par Erwan Davoux
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Afrique, conflit israélo-palestinien, Dépendance américaine, Ukraine, place et rôle du Quai d’Orsay

Erwan Davoux: “Sous Hollande et Macron, notre politique étrangère a connu un déclassement très important” – Interviews franc-tireurs – Putsch

La politique africaine de la France, en quête de renouveau, semble coincée dans un cycle d’erreurs stratégiques et de maladresses diplomatiques. Dans cette interview incisive, nous explorons avec Erwan Davoux les pistes pour une refonte ambitieuse des relations entre Paris et ses partenaires africains.

Entre héritage colonial, montée en puissance des influences rivales et perte de confiance généralisée, comment la France peut-elle espérer regagner sa place dans un continent en pleine réinvention ? Une analyse sans concession des priorités à redéfinir pour tourner définitivement la page des échecs passés.

Selon vous, quelles devraient être les priorités d’une nouvelle politique africaine française pour éviter les erreurs passées ?
La France a mal mesuré que l’Afrique de l’Ouest voulait passait d’une indépendance formelle à une indépendance réelle. Elle a pris, trop tardivement, la mesure du sentiment panafricanain renouvelé et n’a pas su y répondre.
Nos dirigeants ont même passé leur temps à contredire par des comportements déplacés, les principes qu’ils énonçaient. Lorsqu’Emmanuel Macron se rend à l’université de Ouagadougou en novembre 2017 pour poser les fondements d’une relation renouvelée entre la France et l’Afrique de l’Ouest, il fait des propositions et envisage des pistes fortes intéressantes. Mais, il contredit par son comportement condescendant et méprisant tout l’esprit de son discours. « Il est parti réparer la clim’ » dira-t-il du Président burkinabé. Hélas, ce genre de boutades, de mauvais goût se répèteront. En ce sens, il perpétuera les calembours et les plaisanteries douteuses de François Hollande qui osera par exemple « Manuel Valls est rentré sain et sauf d’Algérie », alors même que le rétablissement d’une relation de confiance avec l’Algérie était une de ses priorités.

Emmanuel Macron s’essaiera en politique étrangère aussi au fameux « en même temps », au Sénégal par exemple. Il enverra une délégation de la cellule africaine rencontrer le Président d’alors, Macky Sall, tout en la missionnant de rencontrer aussi et d’une manière discrète, Ousmane Sonko. Quelle naïveté et quel amateurisme…

Sans respect de ses partenaires, il ne peut y avoir de politique solide et saine. Pour commencer il faut donc se parler d’égal à égal, la France n’a rien à dicter à ses partenaires africains. La confiance est actuellement rompue. Il est aisé de la casser, mais beaucoup plus laborieux de la reconstruire. La France doit s’employer à développer son soft power : la francophonie, l’enseignement français à l’étranger, le partage d’expertise, la formation professionnelle, la culture et s’attacher à regagner de la sympathie avant d’espérer retablir des relations diplomatiques solides.

Nous pouvons, fort, heureusement compter aussi sur les erreurs de nos adversaires. Il est probable que ceux qui ont surfé sur le rejet de la politique française fassent, à leur tour, l’objet d’une grande défiance tant les agissements apparaissent pour ce qu’ils sont : impérialistes avec des comportements qui révèlent une absence totale de compréhension et d’empathie envers les populations.

Quelle approche plus cohérente et efficace recommanderiez-vous pour redéfinir les relations de la France avec ses partenaires africains ?

Il faut d’abord cesser de revendiquer des relations privilégiées avec les dirigeants africains tout en présentant les Africains eux-même sous le seul prisme négatif du risque migratoire. Nos relations avec l’Afrique ne se résument pas à cela, loin de là !

Le tropisme militaire nous a également desservi. La seule politique africaine de François Hollande s’est limitée à des interventions, au Mali, en République centrafricaine… Le malheur de nos amis africains pour exister. Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense aura fortement déséquilibré la politique conduite en Afrique, le militaire prenant le dessus sur le politique. Malheureusement des opérations armées sans processus politique inclusif de sortie de crise ne mènent à rien si ce n’est au chaos et comme la nature a horreur du vide…

C’est bien ce qui s’est produit dans les deux pays précités. A défaut d’avoir anticipé la situation, la France s’est faite chasser pour laisser la place aux Russes. Elle a contribué elle-même à l’installation de Wagner puis des troupes russes en Afrique. En effet, lorsque le président centrafricain a réclamé des armes pour équiper son embryon d’armée à la France, François Hollande a temporisé. Puis Emmanuel Macron a porté l’affaire au niveau du Conseil de Sécurité. Une aubaine pour les Russes qui ont répondu rapidement et même au-delà ce que réclamaient les autorités centrafricaines. Le processus était alors enclenché : envois de formateurs puis de conseillers, fournitures de nouvelles armes nécessitant d’envoyer de plus en plus de militaires ou paramilitaires …

La France s’est crue en terrain conquis et elle a appréhendée bien trop tardivement et avec des moyens dérisoires les influences russe, chinoise, turque qui s’exerçaient à son encontre.

Nos autorités ont toujours un temps de retard et une difficulté à mesurer l’état d’esprit de l’opinion publique africaine. En proposant de réduire drastiquement son dispositif militaire en Afrique, la France a cru contenter ses partenaires. Ce qui aurait pu être considéré comme une avancée il y a seulement cinq années est désormais appréhendé comme un moyen de « sauver les meubles ».

Il faut cesser cette mode des « envoyés spéciaux », cette diplomatie parallèle qui ne conduit à aucun résultat probant. Et commencer par choisir des spécialistes de l’Afrique à la cellule africaine de l’Elysée. Ce qui semblait être du simple bon sens et qui ne l’est plus.

La politique de la France en Afrique doit être refondée de manière collégiale en intégrant diplomates, chercheurs, membres des diasporas africaines, entrepreneurs implantés en Afrique et chapeauté par le Quai d’Orsay. Elle doit être multidimensionnelle et se fonder sur un bon diagnostic et une analyse exhaustive.

Pensez-vous que la France sera soumise à une vassalisation tout important sous Donald Trump que sous l’administration Biden ?

Hélas, je le pense. Trump n’a pas manifesté une grande considération pour Emmanuel à Macron. Pourtant, ce dernier, dès sa prise de fonction a voulu, en juillet 2017 lors de la venue de Donald Trump à Paris, surjouer une amitié à sens unique. Cette poignée de mains récente, plutôt ce broyage de l’avant-bras sur le perron de l’Elysée, s’ajoute à des séquences videos peu flatteuses dans lesquelles Trump tourne en ridicule le Président Français et le menace même disant détenir « des dossiers ». Avec une relation personnelle aussi déséquilibrée sans qu’Emmanuel Macron ne rechigne, je ne vois pas d’amélioration possible.

Il existe, de manière structurelle, une inféodation idéologique depuis que la gauche néoconservatrice a pris les rênes du Quai d’Orsay. De Kouchner à Fabius, en passant par Séjourné, c’est cette ligne qui s’est imposée, fortement atlantiste détriment de celle gaullo-chiraquirenne. Avec les mêmes diplomates tenants de cette idéologie aux postes clés, avec une grande continuité dans ce domaine entre Hollande et Macron.

Je vais prendre un exemple très significatif. Jacques Chirac avait envisagé le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Mais il souhaitait que cela se fasse dans un cadre où la France pèserait de tout son poids. La condition préalable était que la France obtienne le commandement militant de l’OTAN à Naples, conformément à sa vocation méditerranéenne. Il avait manuscrit dans un message à Bill Clinton « It is of capital importance ». Devant le refus américain, Jacques Chirac a tout stoppé. Nicolas Sarkozy, lui, est rentré dans le rang, sans rien obtenir en contrepartie. Depuis, la France a renoncé a tout ce qui faisait la singularité et la force de sa politique étrangère, se contentant d’essayer d’apparaître comme le meilleur allié des Etats-Unis qui, eux-mêmes, ne savent pas vraiment où ils vont.

Peut-on dire que l’effondrement de la diplomatie française s’est accélérée sous Emmanuel Macron ?

Nous sommes tombés d’un cran après le départ de Jacques Chirac qui fut le dernier Président à mener une grande politique étrangère car il avait l’expérience requise, des principes fondateurs, un sens aigu du message que la France devait porter dans le monde, forte de son histoire et des valeurs qu’elle incarne.

Nicolas Sarkozy avait une faculté au leadership et à créer des coalitions qui ont temporairement masqué le déclin diplomatique. Mais il s’avère que les décisions prises alors ont eu un effet néfaste sur le moyen ou long-terme.

Avec Hollande et Macron nous sommes complètement entrés dans ce que Georges Malbrunot et Christian Chesnot ont fort justement nommé « Le déclassement français ». Nous ne faisons même plus illusion.

François Hollande est arrivé au pouvoir sans autre expérience que le prisme de l’internationale socialiste. Il ne s’était, par exemple, jamais rendu en Chine avant d’être élu. Il a mené une politique étrangère extrêmement partisane. Il a semé les germes du divorce franco-allemand, se comportant en chef de parti, recevant par exemple le leader du SPD allemand rival d’Angela Merkel, à l’Elysée en pleine campagne électorale.

En Tunisie, il a soutenu la Troika (2012-2014) noyautée par les islamistes sous prétexte que deux de ses amis y figuraient, sans réel pouvoir. En Afrique, il a privilégié la relation avec les chefs d’Etats appartenant à ce club socialiste.

Alors que François Hollande et Emmanuel Macron sont deux personnalités très différentes, en politique étrangère, le second n’aura été que le continuateur du premier. Il existe une certaine logique :  ce sont les mêmes diplomates qui sont placés aux postes stratégiques, animés par la même idéologie.

Comment analysez-vous la gestion de la politique internationale par Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir ?

Il s’agit probablement, sans exagération ni parti pris trop partisan, du domaine le plus totalement raté depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.

Nous avons été chassés d’Afrique, nous sommes désormais quasiment haïs dans le monde arabe (sans aucune contrepartie positive côté israélien) ou considérés comme un partenaire de seconde zone dans le meilleur des cas. Le couple franco-allemand est cassé, nous ne sommes leaders sur aucun dossier majeur.

Nous avons failli à notre mission première de membre du Conseil de Sécurité : faire respecter le droit international et abandonné la promotion du multilatéralisme. Nous ne jouons plus le rôle de facilitateur entre le Nord et le Sud comme par le passé, nous sommes désormais un membre secondaire du « bloc occidental ». Nous en sommes réduits à une diplomatie purement déclaratoire à défaut d’avoir de l’influence.

Quel est l’état de la désagrégation du Quai d’Orsay ? Quelles en sont les raisons ?

Le Quai d’Orsay n’est plus un acteur central de la politique étrangère de la France. Toutes les décisions se prennent à l’Elysée. Ce dysfonctionnement a été introduit par Nicolas Sarkozy et amplifié par ces successeurs. Au moins Nicolas Sarkozy avait pris la précaution de s’entourer de diplomates extrêmement chevronnés à la cellule diplomatique, ce qui ne fut pas le cas de ses successeurs.

La méfiance d’Emmanuel Macron vis-à-vis des diplomates est connue de tous. Il a d’ailleurs cassé le corps diplomatique comme il a brisé le corps préfectoral. Deux corps d’excellence.

L’expertise qui se trouve évidemment au Quai d’Orsay est marginalisée et des proches d’Emmanuel Macron sont placés à des postes clés pour mettre le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères sous étroite surveillance.

Pour parachever le tout, l’arrivée des deux derniers ministres qui n’avaient aucune compétence en la matière a réduit la place du Quai d’Orsay au « ministère de la parole », celle de communiqués alambiqués sans aucune prise réelle sur les évènements.

Enfin, une politique de ressources humaines, digne, de ce nom, reste à mener. Loin des affectations fantaisistes, du copinage ou des modes du moment.

Nos dirigeants politiques actuels sont-ils plus acculturés sur les questions internationales que leurs prédécesseurs?

Oui tout à fait. Lorsqu’il accède au pouvoir, Nicolas Sarkozy dispose d’une expérience de l’international sous un prisme particulier, celui de l’ancien Ministre de l’Intérieur qu’il fut. Ces deux successeurs n’en ont aucune. Or la politique étrangère ne s’invente pas. Il ne suffit pas d’avaler des notes, de publier des communiqués convenus et d’assister à des sommets internationaux protocolaires pour peser sur les affaires du monde. Elle nécessite un apprentissage long qui s’acquiert au fil des déplacement à l’étranger qui permet de développer des réseaux, de connaitre intimement ses homologues, de s’imprégner d’une sensibilité, d’apprivoiser les cultures étrangères et ainsi d’être en mesure par une politique étrangère audacieuse, particulière, avant-gardiste, suscitant de la sympathie de permettre à la France de résoudre la quadrature du cercle : Comment un pays de taille moyenne dont la population est à faible à l’échelle du globe peut-il peser sur les affaires du monde ? La réponse est en adoptant une grande politique étrangère de grandeur. C’est la phrase célèbre du Général de Gaulle « « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. »

A défaut d’un parcours préalable à l’international et en mettant, dans le même temps, le Quai d’Orsay en retrait, les présidents s’exposent au risque d’incohérence et de gaffes diplomatiques. C’est ce qu’ont fort justement dénoncés la plupart des Ambassadeurs français en poste dans le monde arabe, en novembre 2023, dans une lettre indite déplorant incohérence, alignement total sur le gouvernement Netanyahou et la perte d’influence massive pour la France qui en résultait. Les lanceurs d’alertes ont été sévèrement admonestés pour leur outre-cuidance (en réalité un sens aigu de leur mission au service de la France) par les petits marquis de la macronie propulsés à des postes pour leur fidélité et non leur expérience.

Ou, pire encore, à reprendre l’idée du dernier visiteur du soir. C’est ce qui a conduit par exemple, Emmanuel Macron, à proposer « une coalition internationale anti-Hamas sur le modèle de celle anti-Daech » qui a suscité moqueries, incrédulité et même consternation de ceux à qui elle était destinée, les autorités israéliennes.

Reconstruire la politique étrangère de la France sera une des missions essentielles du prochain chef de l’Etat.

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