[Analyse] Le nouveau défi de l’Afrique, gérer le vieillissement annoncé de sa population

par Olivier DELAGARDE
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L’Afrique est en pleine transition démographique et sa jeunesse est souvent présentée comme un moteur pour son développement. Toutefois, la croissance de la population du continent entraîne aussi la croissance du nombre de personnes âgées, délaissées par les tentations migratoires des plus jeunes. Ce fait inéluctable sera l’une des priorités des gouvernements africains dans les prochaines décennies. Ainsi, de nouvelles politiques publiques devront également s’imposer.

De tous les champs d’étude de la démographie africaine, ce n’est pas le vieillissement qui vient d’emblée à l’esprit, tant le continent est associé à la jeunesse.

Pour en savoir un peu plus sur cet enjeu encore largement ignoré, l’Institut national des études démographiques (INED) et l’Agence française de développement (AFD), ont produit une étude qui présente à partir des données statistiques disponibles, l’état des politiques publiques existantes ainsi que les perspectives quant à leur mise en œuvre.

Les jeunes jusqu’alors majoritaires, moteur en Afrique

L’âge médian, définissant l’âge qui sépare la population en deux parties numériquement égales l’une plus jeune et l’autre plus âgée, est de 38 ans en Europe et de 30 ans en Asie. Sur le continent africain dans son ensemble, cet âge est de 19 ans environ, ce qui en fait le plus jeune au monde.

Cette forte dynamique démographique s’exprime aussi par le fait que plus de 60 % de la population africaine a moins de 25 ans. Bien sûr, cette réalité impose une adaptation des politiques sociales et économiques, notamment en terme d’emplois. Dans la plupart des pays subsahariens, de forts taux de fécondité ont contribué et contribuent toujours, à une augmentation exponentielle de la population. Plusieurs projections géostratégiques estiment que la population africaine pourrait atteindre 2,5 milliards de personnes d’ici 2050 (NDLR : elle en compte aujourd’hui près de 1,5 milliard). Sur ces 2,5 milliards de personnes, les soixantenaires et plus se compteront à environ 215 millions, soit un peu plus de 8 % de la population globale. En 2023, seulement 5 à 6 % de la population africaine était âgée de 60 ans et plus. Cette moyenne statistique ne doit pas occulter le fait qu’il existe de grandes disparités selon les pays : 3 à 4 % en Ouganda et au Niger, contre 7 à 9 % en Afrique du Sud et en Tunisie. Comparativement en Europe, cette part de la population représente 25 % de la population recensée, 16 % en Amérique du Nord et 12 % en Asie.

Le vieillissement, un nouvel enjeu pour les décideurs politiques

Avec un taux de mortalité élevé, la part relativement faible de personnes âgées en particulier dans les pays sub-sahariens, explique le peu d’engagement jusqu’alors des décideurs à mettre en place de solides systèmes de protection sociale et de prise en charge du grand âge, alors même qu’elles vivent souvent dans des conditions de vie très précaires, combinant pauvreté et formes de vulnérabilité entraînées par la vieillesse.

Les personnes âgées en Afrique dépendent encore très largement des soutiens familiaux voire des structures communautaires proches (ménages, familles, voisins), mais ces structures sociales changent vite avec l’urbanisation et les effets plus larges de la mondialisation : le changement des modes de consommation et l’amplification de l’utilisation des réseaux sociaux entraînent une évolution des valeurs socio-anthropologiques.

Bien que le grand âge représente actuellement une part réduite de la population africaine (en pourcentage), ce nombre est appelé inéluctablement à augmenter du fait de la forte croissance démographique du continent. De ce fait, de nouveaux défis en matière de santé publique, de protection sociale et de pensions de retraite devront être relevés incontestablement.

Le premier de ces défis concerne la progression nécessaire du niveau de couverture sociale de la population, devant en outre tenir compte du poids de l’informalité dans l’économie. Afin de garantir une protection des individus face aux risques sociaux au sens large (maladie, chômage, accidents du travail, vieillesse), il est essentiel d’articuler cette protection au contexte informel du travail notamment, qui représente environ 80 % de l’emploi en Afrique.

Pour ce faire et d’avis d’experts, cette protection sociale pourrait s’initier en trois volets. Tout d’abord, la mise en œuvre de régimes contributifs « flexibles » qui valoriseraient des cotisations basées sur des revenus irréguliers liés à l’informalité. Ensuite, la valorisation des systèmes communautaires tels que la tontine, qui pourraient être mieux étendus et mutualisés, ainsi que la promotion de mutuelles de santé adaptées aux travailleurs indépendants, aux petites entités de production et de commerce. Enfin, l’extension des paiements digitalisés via « le mobile money » qui permettrait de simplifier les cotisations et les prestations, comme c’est déjà largement le cas au Rwanda ou au Kenya.

Les nécessaires ajustements et volontés des politiques publiques

Selon l’AFD (l’Agence Française de Développement), la mise en œuvre d’une protection sociale efficiente des personnes âgées repose cependant sur plusieurs conditions préalables. La première tient aux capacités des États à développer les compétences humaines et techniques nécessaires afin de lever l’impôt et en conséquence à financer par les recettes fiscales, la protection sociale. En outre, la mise en place d’un couplage de la couverture maladie à celle de la retraite, visant à garantir aux individus tout au long de leur vie active et au-delà, une sécurité financière leur permettant d’accéder aux systèmes de soins. Aussi, il sera nécessaire de combiner les contributions prélevées sur les revenus des travailleurs du secteur formel (pour financer la couverture santé et les droits aux pensions de retraite), avec une prise en charge par les fonds publics des travailleurs informels, des personnes sans emploi et/ou des populations vulnérables au sens large (femmes isolées, individus en situation de handicap, etc). A l’instar des pays dits développés, d’autres sources de financement doivent être envisagées : taxes sur les produits de luxe, les véhicules neufs et les carburants, sur les billets d’avion ou bien encore mais bien moins populaires, les transactions financières.

Bien sûr, les modèles occidentaux ne sont pas toujours les bienvenus sur le continent et difficilement transposables du fait de la grande disparité des économies. D’un côté, il s’agira d’investir massivement dans l’éducation et la formation professionnelle afin de faire de la jeunesse africaine un moteur de croissance économique. D’un autre, il faudra également construire et réformer les systèmes de santé et de protection sociale en vue de répondre aux besoins d’une population vieillissante plus nombreuse. En d’autres termes, c’est une gestion proactive du dividende démographique (soit la chance pour les pays qui connaissent un rajeunissement démographique de voir leur économie croître temporairement) qui pourra garantir une meilleure prise en compte des enjeux liés au vieillissement de la population.

La question persistante de l’absence de données statistiques fiables

Quels que soient les scénarios privilégiés pour la mise en œuvre de la protection sociale des seniors, la grande question se pose dans le recueil et l’analyse des données sociodémographiques fiables et complètes, par pays. Or, la problématique des statistiques démographiques demeure un chantier titanesque en Afrique. En effet, les insuffisances dans ce domaine d’étude ont des conséquences significatives pour de nombreux pays, plus globalement sur le développement du continent.

Dans de nombreux pays africains, une grande faiblesse des systèmes d’état civil insuffisamment financés et manquant de ressources humaines et techniques, un recours de plus en plus rare aux recensements, à la collecte et au traitement des données, rendent la tâche plus compliquée voir quasiment impossible. De plus, comptabiliser les populations vivant dans des zones de conflit ou d’insécurité alimentaire reste particulièrement difficile, de même que l’identification des causes de décès. Généralement, seuls les chiffres sporadiques et ciblés relevés par les diverses ONG, présentent une certaine fiabilité.

La gestion du vieillissement de la population, illustre les réalités socio-économiques du continent

Le financement de la protection sociale des personnes âgées, qui devrait reposer sur une vision stratégique et bien sûr d’une volonté politique, reste hypothétique ou du moins, une non priorité. Bien que des solutions existent, qui vont de la mobilisation des ressources nationales par l’impôt notamment dans les économies qui le permettent, puis d’actions innovantes dans les systèmes de collecte et de gestion raisonnée, au soutien des partenaires internationaux sur des initiatives pilotes et des subventions ciblées, enfin à l’inclusion du secteur informel dans un système contributif adapté.

Au-delà des différents conflits civiles ou militaires qui jalonnent le continent, la problématique du vieillissement se présente en tout état de cause comme un révélateur des leviers fondamentaux quant au développement de la plupart des pays africains.

Tout d’abord, il s’agira pour les gouvernements du continent de faire un choix clair et durable d’un modèle de croissance économique lorsque les cohortes de personnes âgées auront augmenté. De plus, les politiques publiques liées au vieillissement devront aussi intégrer la nécessaire adaptation au dérèglement climatique dont on sait déjà qu’il touche tout particulièrement le continent africain. Cela devra se faire via la mise en place de systèmes d’alerte propres aux personnes âgées, de pratiques de diagnostic des effets climatiques extrêmes sur les personnes vulnérables que sont les séniors, de logements adaptés, de systèmes de veille et de divers systèmes d’entraide de proximité.

Aussi, le développement d’économies durables et pérennes par l’organisation sociale des sociétés africaines, apparaît clairement comme une solution permettant d’endiguer l’exode des jeunes vers l’occident notamment.

Pour les décideurs des pays d’Afrique subsaharienne ainsi que pour d’autres acteurs locaux (entreprises, organisations de la société civile), il est donc crucial d’anticiper le vieillissement programmé des populations. Sans transposition absolue mais en adaptant les modèles, à l’instar des pays développés qui ont historiquement vu leur économie se développer grâce à un modèle industriel et manufacturier où le salariat formel a été à la base de la construction des systèmes de protection sociale.

En conclusion le défi à venir pour l’Afrique, face au vieillissement de sa population, est de penser des politiques publiques adaptées à un modèle économique propre à chaque territoire culturel et social, alors que pour l’heure tout repose encore trop largement sur une économie informelle faite de débrouillardise.

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