Dans cette période où le vieux monde se meurt, l’inflation élevée devient une nouvelle réalité. Les grands changements contemporains créent une hausse durable des prix jusqu’au jour où les équilibres mondiaux seront enfin redéfinis. De cette transition naissent des événements imprévisibles, qui exigent de se préparer au pire.
La fin de l’illusion de la mondialisation
L’ordre des choses finit toujours par s’imposer. Pendant plusieurs décennies, la mondialisation a été présentée comme un système universel dont l’avenir serait éternel. Elle a alimenté une course effrénée à la croissance qui s’est traduite par des innovations spectaculaires (en matière technologique, scientifique, médicale, spatiale…) autant qu’à l’essor rapide d’industries mortifères. Elle incarnait alors une époque où tout était permis, grâce à une création monétaire infinie.
Mais la crise sanitaire a mis fin à cette illusion. La reprise économique post-covid a généré une forte inflation qui a été partiellement enrayée par les banques centrales. Le relèvement de leurs taux d’intérêts a précipité ce qu’Emmanuel Macron a nommé la « fin de l’abondance », c’est-à-dire la croyance dans l’argent magique et dans un environnement international supposément pacifié. Le monde est alors entré dans un nouvel équilibre : l’uniformité créée par la mondialisation a laissé un vide, incitant chaque nation et individu à vouloir se réaffirmer. Sur le plan géopolitique et économique, la mondialisation a donc cédé la place au protectionnisme, tandis que, d’un point de vue identitaire, l’universalisme s’efface peu à peu pour laisser vivre les particularismes.
Dans ce moment de rupture, les fragilités du monde d’hier éclatent alors au grand jour. La fragmentation des chaînes d’approvisionnement, autrefois hyperconnectées, transforme les échanges commerciaux. Avec le retour du protectionnisme et la montée des tarifs douaniers, les coûts de production augmentent et se répercutent sur les prix de nombreux produits. Cette dynamique s’accompagne également d’une guerre pour les ressources stratégiques, dans un monde où la rareté refait pleinement surface, et où les économies avancées comprennent qu’il est possible d’imprimer de la dette en quantité illimitée, mais que les ressources naturelles restent par essence limitées. Ainsi les matières premières stratégiques, comme le lithium, le cobalt et le nickel (essentielles pour les secteurs d’avenir) deviennent des instruments de pouvoir utilisés comme moyen de pression, comme le prouve la réponse chinoise contre la politique protectionniste américaine visant à imposer des droits de douane de 60%.
Sous le poids des rivalités entre puissances, les flux commerciaux internationaux se réorganisent et les alliances se redessinent, ce qui nourrit des pressions inflationnistes partout à travers le monde. Les pays des BRICS tentent d’effacer la domination occidentale, tandis que l’Occident résiste, en particulier les États-Unis. L’élection de Trump en est l’illustre exemple, puisque les électeurs américains cherchent, par ce vote, à maintenir la domination américaine et par là même leur qualité de vie. Les États-Unis tentent en effet de contenir l’influence des grandes puissances – en particulier de la Chine et de la Russie -, tandis que l’Europe s’efface peu à peu sur la scène internationale. En tant que projet emblématique de la mondialisation, le Vieux-continent est frappé de plein fouet par ces profonds changements, après avoir légué sa dépendance énergétique à la Russie, son commerce extérieur à la Chine, et son armée aux États-Unis… Sans indépendance stratégique, les pays européens continueront donc d’être parmi les plus touchés par ces dynamiques inflationnistes au cours des prochaines années.
De grandes transformations en cours
Cette hausse élevée et durable des prix est aussi le produit des tensions géopolitiques, autre marqueur de ce monde en mutation. Que ce soit le conflit aux portes de l’Europe, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique de l’Est… les conflits ouverts ou latents perturbent l’économie mondiale. Ils augmentent la volatilité des marchés mondiaux, créent des pénuries localisées (alimentaires, énergétiques…) et renforcent les dépenses militaires souvent alimentées par des déficits croissants. En la matière, les investissements n’ont jamais été aussi élevés : les dépenses militaires mondiales ont augmenté pour la neuvième année consécutive pour atteindre un niveau record de 2 443 milliards de dollars. Et cette tendance n’est pas prête de s’arrêter, car les conflits actuels ne sont que les prémisses de plus dangereux qui pourraient survenir. Que ce soit entre Israël et l’Iran, entre la Chine et Taïwan, entre la Corée du Nord et du Sud, voire même entre deux grandes puissances comme les États-Unis et la Russie.
À ces dépenses militaires s’ajoutent les dépenses sociales croissantes, notamment pour assurer le vieillissement des populations dans les économies avancées, ralentir tant bien que mal les inégalités qui sévissent (elles aussi, à un niveau historiquement élevé), ou soutenir la classe moyenne dans les pays émergents. Ces dépenses, si elles ne financent pas des investissements, vont alors nourrir la hausse globale des prix.
Enfin, sur le plan financier, la guerre des monnaies que se livrent aujourd’hui les grandes puissances, que ce soit par une politique de dédollarisation chez les pays du Sud (Chine, Russie, Brésil…) ou par la volonté d’un dollar fort aux États-Unis, renchérit le prix des produits importés. Et le ralentissement de la croissance mondiale, combiné à la montée de l’endettement public et privé (aujourd’hui estimé à plus de 310.000 milliards de dollars) incitent les banques centrales à maintenir une inflation élevée, afin de réduire la spirale de la dette.
La mondialisation telle que nous l’avons connue appartient définitivement au passé. Il n’est plus d’actualité que d’imaginer un ordre international pacifié, où les maux d’aujourd’hui peuvent être sans cesse repoussés. Alors que le coût de l’argent s’est renchéri et que le monde prend conscience des grands enjeux à venir, l’inflation élevée apparaît donc comme le reflet de cette grande transition, où les certitudes d’hier cèdent la place à de nouvelles réalités.