Une récente enquête d’opinion auprès de populations africaines, réalisée par l’ONG Tournons la page (TLP) en collaboration avec le Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI Sciences Po Paris), apporte un éclairage précieux sur les raisons du rejet croissant de la présence française en Afrique. Menée dans six pays africains, cette étude met en lumière des perceptions critiques de la politique étrangère de la France.
Ce rapport intitulé « De quoi le rejet de la France en Afrique est-il le nom ? » résulte d’une collaboration entre Tournons la page et le CERI Sciences Po. Il se concentre essentiellement sur six pays d’Afrique francophone : le Bénin, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Niger et le Tchad, soit six anciennes colonies françaises. Cette enquête, composée d’un panel de 470 participants et d’une cinquantaine de discussions en groupes, est une première à cette échelle afin d’analyser objectivement les opinions sur la présence française en Afrique.
Une enquête inédite en Afrique francophone
Selon TLP, l’objectif principal de cette recherche vise à comprendre sans parti pris, les multiples manifestations anti-françaises, puis de rechercher des clés de lecture aux débats sur la politique étrangère française sur le continent. Ces mouvements ont été abondamment interprétés comme des expressions d’un « sentiment anti-français » croissant, bien que peu d’études aient approfondi la question jusqu’à présent.
L’un des aspects essentiels du rapport est l’analyse de la présence militaire française en Afrique. Une majorité écrasante des répondants (85 %) considèrent que l’influence militaire de la France est « importante ou très importante » dans leur pays, avec une perception particulièrement critique dans des pays comme le Niger, la Côte d’Ivoire et le Gabon. Cependant au Cameroun, ce chiffre est légèrement plus bas (62 %).
L’échec des multiples interventions de l’armée française au Sahel
L’intervention française au Sahel est perçue comme un échec, étant jugée inefficace dans la lutte contre les groupes armés. Selon le quotidien algérien El Watan qui a traité le sujet, un participant gabonais résume ainsi : « Dans la plupart des cas où la France a été présente, on n’a pas vu de stabilité ». Un Camerounais ajoute : « Nous assistons à une bellicisation généralisée dans les zones où la France est présente ». Cette critique est corroborée par un Nigérien : « Jamais en Afrique, de la colonisation à nos jours, la France n’a résolu un conflit africain de manière définitive ».
Les éléments recueillis dans les groupes de discussions ont également porté sur la capacité des pays africains à gérer leur propre sécurité sans l’intervention d’armées étrangères. Si certains participants jugent cela faisable, beaucoup soulignent le manque de moyens et de formation des armées locales.
Une aide militaire française inadaptée
Une participante gabonaise affirme : « Il est illusoire de penser que les pays africains peuvent régler seuls leurs problèmes de sécurité dans le contexte actuel ». Cependant, un Béninois insiste sur l’importance de renforcer les armées locales : « Plutôt que de compter sur des bases militaires étrangères, il faut investir dans la formation et l’équipement de nos forces armées ».
Les panélistes relèvent également les limites de l’aide militaire française. Un participant béninois note que « les équipements fournis par la France ne sont pas toujours adaptés à la réalité du terrain ». Cette perception alimente un désir croissant de diversifier les partenariats militaires, notamment avec des pays comme la Russie, jugés plus enclins à répondre aux besoins des armées africaines.
Cette enquête particulièrement intéressante met en évidence une critique profonde et diversifiée de la présence française en Afrique. Les aspirations à une autonomie accrue, notamment dans le domaine de la sécurité, se heurtent à des réalités complexes liées au manque de ressources. Néanmoins, les opinions recueillies reflètent un rejet de plus en plus affirmé d’un modèle d’intervention extérieure jugé obsolète, ouvrant ainsi la voie à une réflexion renouvelée sur les relations entre la France et l’Afrique.
Enquête complète à retrouver sur : BD – De quoi le rejet de la France en Afrique est-il le nom .pdf