Alors que Damas célébrait la fin du règne du clan Assad en décembre dernier, les habitants du gouvernorat de Quneitra, dans le Golan syrien, voyaient l’armée israélienne investir plusieurs villages. Les raids quotidiens harcèlent la population, craignant que l’occupation temporaire de la zone démilitarisée depuis 1974 ne devienne permanente.
A l’entrée du village, des blocs de béton bloquent le bout de la rue principale. Quelques centaines de mètres plus loin, une large bande noire de remblai se démarque de l’horizon. Et un bruit incessant de pelleteuses. « Ils creusent une tranchée de trois mètres de large et six mètres de profondeur. Ils ont commencé il y a quatre mois, comme s’ils savaient que Bachar (al-Assad) allait tomber », explique Ahmed Ali Tahar, maire d’Al-Hurriyah dans le gouvernorat de Quneitra, au cœur du Golan syrien.
Des travaux titanesques qui placent désormais la dernière maison de ce petit village du plateau du Golan à 500 mètres seulement de la frontière avec Israël, contre deux kilomètres auparavant. En octobre 2023, les autorités israéliennes ont annoncé vouloir fortifier la ligne Alpha qui sépare l’État hébreu de la Syrie, afin d’éviter toute attaque terroriste, à l’image de celle du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas depuis Gaza.
Chute d’Assad, une joie de très courte durée
Le 8 décembre 2024, la joie a fait place à une autre inquiétude. Puis tout a changé pour les habitants d’Al-Hurriyah. « Nous étions si contents de la chute de Bachar mais Israël a gâché notre joie. Ils sont arrivés deux jours après avec leurs chars et leurs bulldozers » raconte le maire du village de 1 000 habitants.
Quelques heures seulement après la prise du pouvoir par Hayat Tahrir al-Cham (HTC ou HTS), le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, a ordonné à l’armée de « prendre le contrôle » de la zone tampon démilitarisée du plateau du Golan, un territoire stratégique riche en eau surplombant le nord d’Israël. Depuis 1974 pourtant, cette bande de 80 kilomètres de long a été délimitée par un accord de cessez-le-feu entre Israël et la Syrie, dont le respect est assuré par la Force de l’ONU pour l’observation du désengagement (Fnuod). Malgré cela, l’État hébreu occupe une partie de ce territoire montagneux qu’il a annexé arbitrairement en 1981 et que la communauté internationale, exception faite des États-Unis, considère comme occupé.
« Les soldats sont arrivés et ont demandé à l’imam de faire un appel afin de dire à tout le monde de partir. Ils nous ont donné jusqu’à 15 h. Nous avons fait partir les femmes et les enfants mais les hommes sont restés » rapporte l’élu du village, précisant que c’était la première fois qu’il voyait des Israéliens depuis son arrivée en 1978.
Maha* n’oubliera jamais ce jour-là. « On ne nous a même pas laissé le temps de prendre nos affaires, à peine de quoi s’habiller. Je suis restée pendant cinq jours à Khan Arnabah avec les enfants avant de revenir » se souvient cette dernière. La sexagénaire, effrayée à l’idée de représailles, explique qu’en vingt-cinq ans, elle n’avait jamais vu les soldats israéliens dans le village. « Que ressentiriez-vous si on venait vous dire de partir de chez vous du jour au lendemain ? », interroge-t-elle, en précisant qu’elle vit dans la peur que Tsahal ne les chasse de leur maison définitivement.
Plusieurs centaines de villageois toujours déplacés d’Al-Hurriyah
En quelques heures à peine, à Al-Hurriyah, femmes et enfants fuient. Malgré la fin de l’ultimatum, ce n’est que le lendemain vers 10 h que les soldats israéliens sont venus taper à la porte de l’édile local. « Ils m’ont demandé pourquoi nous n’étions pas partis avec l’imam. Je leur ai dit que je n’avais pas envie et que je n’avais nulle part où aller. Ils m’ont alors menacé en pointant une arme : la prochaine fois, on t’explose la tête !, raconte Ahmed en comptant les perles en bois de son misbaha (NDLR : chapelet musulman). « Nous leur avons dit que nous n’étions que des bergers et des agriculteurs, qu’ils pouvaient fouiller nos maisons, que nous n’avions pas d’armes à cacher. Ils n’ont cherché que la mienne et celle d’un vendeur de pain », ajoute-t-il.
Ahmed n’a d’autre choix que de s’exécuter en abandonnant le village. Trois jours plus tard, il reçoit un appel lui demandant de revenir à Al-Hurriyah. « Quand je suis arrivé chez moi, il y avait une vingtaine de soldats armés. Ils m’ont dit de faire revenir tout le monde mais ils n’ont pas dit pourquoi ». Depuis, quelques 600 habitants sont rentrés au village. Les 400 autres sont toujours déplacés dans les villes environnantes, notamment à Khan Arnabah.
C’est à cet endroit que Bilal* vient travailler chaque jour. Le sexagénaire réside à Jubata al-Khashab, un village où les treillis verts sont omniprésents quotidiennement depuis le 8 décembre. Aucune personne extérieure n’est autorisée à entrer.
« Les soldats vont et viennent sans arrêt dans le village, raconte-t-il en demandant, à nouveau, de garantir son anonymat. Je crains qu’ils prennent ma maison. Je n’ai aucune confiance en l’ennemi », explique-t-il en précisant l’obligation de rentrer tôt compte tenu du danger.
Bilal est terrorisé à l’idée de représailles, mais surtout de l’avenir. Il ne cesse de se toucher les mains, sans doute pour refreiner des tremblements dus au stress. « Je ne leur adresse pas la parole. Je ne sais pas comment ils pourraient réagir. Je pourrais être arrêté », poursuit-il en répétant que les soldats terrorisent les villageois.
Une occupation “temporaire” pour sécuriser les frontières israéliennes
En un mois, l’Etat Hébreu a mené des centaines de frappes visant à détruire l’arsenal militaire syrien, arguant chercher à éviter qu’il ne tombe entre les mains des nouvelles autorités qui « pourraient être hostiles ». Plusieurs raids ont également été menés dans une vaste partie de la province de Quneitra, toujours justifiée par la recherche d’armes qui auraient pu être abandonnées en suite de la débâcle de l’armée régulière syrienne.
« Ils disent que nous avons des armes mais nous n’en avons pas. Il n’y a pas de groupe armé ici, ils empêchent les gens de circuler librement », poursuit ce témoin.
C’est pour cela que Fatima Mansour a fait le choix contraint de ne pas rentrer à Jubata al-Khashab. « Je vis à Khan Arnabah depuis douze jours car j’avais peur de ne pas pouvoir venir ouvrir mon commerce tous les jours », explique-t-elle assise derrière le comptoir de son magasin de vêtements. « Ils ne sont qu’à un kilomètre de ma maison ».
Si Benjamin Netanyahu assure que la présence des troupes de Tsahal est temporaire, les habitants du gouvernorat de Quneitra restent persuadés qu’elle pourrait devenir permanente. Et les exemples de telles affirmations sont nombreux. Trop. Ainsi, près de 30 000 Israéliens et 23 000 Druzes, bénéficiant du sacro sain statut de résidents israéliens, vivent aujourd’hui d’une manière permanente dans le Golan annexé. Déjà le 15 décembre 2023, le gouvernement Netanyahu avait approuvé un projet visant à doubler la population, abondant un budget de 40 millions de shekels (10,6 millions d’euros) à cette fin.
« Nous pensons qu’ils veulent prendre nos terres mais on ne les laissera pas faire. On restera dans nos maisons », affirme Fatima. « Ils veulent s’agrandir, prendre le plus de terres possibles au Liban, à la Palestine et à la Syrie », abonde Bilal. J’ai peur mais je veux que le monde connaisse le vrai visage de notre ennemi. Ils se font passer pour les victimes mais ce sont eux les agresseurs ».
Alors que la Syrie tente de se reconstruire, le nouvel homme fort de Damas Ahmed al-Charaa, de son nom de guerre Abou Mohammed Al-Joulani, a estimé qu’après des années de lutte armée « l’état d’épuisement » du pays ne permettait pas « d’entrer dans de nouveaux conflits ». De quoi nourrir l’angoisse des habitants des terres fertiles du plateau du Golan. « Inch Allah (NDLR : Si Dieu le veut), le nouveau gouvernement va discuter pour garder nos terres dans les limites de 1973. Je ne veux pas quitter ma terre en échange de la paix », espère Maha.
*Certaines identités ont été anonymisées pour des raisons de sécurité