Comment le 7 octobre a-t-il pu se produire ?

par Erwan Davoux
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C’est entendu, la Knesset s’est opposée le 22 janvier à la création s’une commission d’enquête sur le 7 octobre. Bernard Henri Levy avait déjà estimé qu’une telle commission n’était pas nécessaire car « tout était clair ».

Cette volonté d’occulter poursuit un but précis précis : évacuer la recherche des responsabilités.

Comment ce qui était inimaginable est devenu réalité ?

Le 7 octobre 2023, près 1200 israéliens (dont 2/3 de civils) sont morts dans des attaques terroristes commises par des activistes du Hamas et 252 otages (dont certains étrangers) sont capturés et emmenés dans la bande de Gaza. C’est la définition même du terrorisme : frapper à l’aveugle des personnes non ciblées qui ont le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.

 Certaines d’entre-elles ont été tuées par l’armée israélienne, elle-même, selon la procédure dite « Hannibal » qui consiste à tuer des prisonniers ou des otages avec leurs ravisseurs. Longtemps restée à l’état d’hypothèse, l’emploi de cette doctrine a été certifié récemment par l’ancien ministre de la Défense israélien, Yoav Galant.

C’est le mythe de l’invincibilIté d’Israël qui s’effondre, non pas suite à un conflit armé de grande ampleur, face à une coalition mais sous les coups d’activistes sommairement armés qui parviennent à semer la terreur.

Les multiples avertissements tous ignorés

Le gouvernement israélien était informé, de longue date, que le Hamas tramait une opération. Par ses propres services de renseignement et par de nombreux services de renseignements étrangers, notamment l’Egyptien (quelques jours auparavant).

Selon le quotidien Haaretz, l’agence de renseignement intérieure israélienne, le Shin Bet, et les commandants militaires de Tsahal ont discuté d’une éventuelle menace contre le festival de musique Nova près du kibboutz Re’im quelques heures avant l’attaque, mais les organisateurs n’en ont jamais été informés.

Selon le New York Times, un an avant le 7 octobre, les services de renseignement ont eu accès à un document de 40 pages, qui décrivait, point par point, le plan d’attaque du Hamas. Le dossier, appelé “Mur de Jéricho”, est passé entre les mains de plusieurs responsables, qui ont choisi d’ignorer l’alerte, estimant que le Hamas n’était pas capable de mettre sur pied une offensive aussi ambitieuse.

 Les « yeux d’Israël », les guetteuses chargées de scruter ce qui se passe dans la bande de Gaza avaient lancé maintes alertes les jours et semaines qui avaient précédé le 7 octobre, en vain. Roni Eshel, 19 ans, était en poste le 7 octobre et a lancé ce message d’alerte à 6H29 : “Trois hommes viennent de traverser la zone de sécurité (…) Ils sont armés !”. Elle sera assassinée lors du 7 octobre. Situées tout en bas de l’échelon militaire, leurs alertes ont été ignorées voir méprisées.

La priorité donnée aux colons d’extrême droite de Cisjordanie sur les pacifistes des Kibboutz

Où se trouvaient les forces israéliennes le 7 octobre ? Principalement en Cisjordanie pour sécuriser les implantations illégales et permettre à la violence des colons d’extrême droite de se manifester en toute impunité. Et l’on touche là un point capital. Dans l’idéologie sioniste révisionniste (une variante du sionisme qui fut longtemps minoritaire avant de s’imposer avec Netanyahou père et fils) qui est la fois fasciste et suprémaciste, il existe une hiérarchisation des vies humaines. Pas seulement entre Juifs et Musulmans assimilés à des sous-hommes. Ni même entre Juifs et Chrétiens sur qui « cracher est une veille coutume juive » selon Itamar Ben Gvir. Mais également entre Juifs. Les massacrés du 7 octobre étaient principalement des pacifistes, non des extrémistes. La priorité de Netanyahou va clairement à la protection des seconds qu’à celle des premiers.  Pour les sionistes révisionnistes, ceux qui croient possibles une coexistence avec les Arabes sont des traitres. Ils n’hésitèrent pas dans les années 1920-1930 à assassiner les responsables juifs considérés comme modérés.

Par ailleurs, il évident que la Cisjordanie revêt une importance bien plus stratégique que la bande de Gaza.

La cupidité de Sinwar comme déclencheur

Pourquoi Yahyah Sinwar déclenche-t-il cette opétation à ce moment précis ? Longtemps abreuvé financièrement par Netanyahou via le Qatar (Ehoud Barak évoque même des échanges de sms directs entre Netanyahou et Sinwar), cette source de financement semble avoir tardivement pris fin. En effet, le deal plus ou moins tacite entre Netanyahou et Sinwar était le suivant : coté Netanyahou « vous mettez Gaza en coupe réglé, je marginalise l’Autorité palestienne et vous considère comme le principal représentant des Palestiniens ». Ainsi le Hamas devenait la vitrine naturellement infréqentable de la cause plestinienne. Toute perspective d’un Etat palestinien sous l’emprise du Hamas devenant inenvisageable.

Coté Hamas, Sinwar avait beau jeu de justifier « une résistance armée et violente indispensable puisque Netanyahou ne veut pas d’un Etat palestinien et que l’autorité palestinIenne est incapable de défendre les Palestiniens ».

Mais il semble que les financements au cupide Sinwar se font moins importants, plus espacés. Le chef opérationnel du Hamas dans la bande de Gaza décide, afin de manifester sa mauvaise humeur et sa capacité de nuisance, de déclencher un coup de force qui sera, in fine, un massacre de grande ampleur. Probablement sans en informer les principaux dirigeants du Hamas qui résident au Qatar.

Mauvaise appréciation des capacités du Hamas et surprise du festival Nova

Certes il s’agissait d’un jour de fête mais la guerre du Kippour est là pour démontrer que la sécurité d’Israël passe avant tout.

La réalité est qu’Israël a toujours considéré le Hezbollah comme une menace bien plus réelle que le Hamas et donc quelque peu baissé la garde face à ce dernier. Comme les Américains avec les Moudjhadines afghans, ils n’ont pas vu que ce qui était à l’origine, quelque peu leur créature pour contrer un adversaire prioritaire, avait grandi et leur échappait totalement…avant de se retourner contre eux.

D’autre part, il est probable (selon les propos de Gilles Kepel et d’Alain Juillet) que le Hamas ignorait la tenue du festival de musique Nova.  Ainsi ce qui devait être une opération marquante mais limitée devient, par effet de surprise et d’aubaine pour le Hamas, un massacre de grande ampleur. Le nombre d’otages très conséquents est lui aussi, très probablement, pas anticipé au moment du déclenchement de l’opération.

Netanyahou : à la recherche d’un prétexte pour raser Gaza ou d’une incompétence criminelle ?

Si l’incompétence paroxystique de Netanyahou ne fait aucun doute, il est difficile d’imaginer qu’il ait laissé intentionnellement réaliser ce carnage. Deux hypothèses sont plausibles :

  • Le Premier ministre israélien a parfaitement connaissance d’une action guerrière du Hamas mais il en sous-estime gravement l’ampleur. Il entend en tirer profit. Pour lui et son gouvernement suprémaciste, une escarmouche sanglante, quelques victimes suffisaient pour enclencher des représailles massives, disproportionnés et à rayer Gaza.
  • Il est manipulé de A à Z par le Hamas sur le sujet.

En tout état de cause, Netanyahou n’a pas été à la hauteur et a gravement failli à sa mission.

Survivre politiquement quel qu’en soit le prix

Quelle que soit l’hypothèse, Netanyahou est dans la nasse le 7 octobre. Un homme d’Etat, ou un homme disposant d’un minimum d’honneur, aurait démissionné. Après avoir tenté de jeter le discrédit sur les services de renseignements et l’armée israélienne sans succès, il met en place une autre stratégie. 

En effet, pour se maintenir, coûte que coûte, le choix est d’abord fait d’une désinformation et d’un lot de fake news massives, comme si l’horreur ne se suffisait pas par elle-même. 

Puis, très rapidement, d’une riposte aboutissant à des massacres de grande échelle dont il appartiendra à la Cour Internationale de Justice d’établir s’il s’agit ou pas d’actes constitutifs d’un génocide, de raser la bande de Gaza. Plus de 46 000 victimes (sans prise en compte des disparus), à 70% des femmes et des enfants.

Mais pas seulement Gaza. Etendre délibérément le conflit au Liban, à la Syrie à l’Iran. En effet, c’est bien le gouvernement israélien qui initie des assassinats et des destructions (y compris de locaux diplomatiques) dans ces trois pays violant effrontément leur souveraineté (en sachant pertinemment que l’embrasement devient inévitable). Le succès contre le Hezbollah visant à faire oublier l’échec cuisant contre le Hamas. Des milliers de civils libanais en paieront le prix, une fois plus. Tout en entamant le chantier qui devient aujourd’hui prioritaire, l’annexion totale de la Cisjordanie. La stratégie fonctionne : de commission d’enquête il n’est plus question, de démission encore moins.

L’aboutissement d’une stratégie mortifère visant à empêcher la création d’un Etat palestinien quoi qu’il en coûte.

Au final, le Hamas est loin d’être éradiqué et ne le sera pas militairement. Sa marginalisation ne peut être que politique.

 Si le Chef d’Etat-Major de Tsahal, Hervi Halevi, a annoncé sa démission il y a quelques jours, telle n’est pas l’intention de Netanyahou. Ne sont-ce pas ceux avec qui ils gouvernent qui ont assassiné l’un des Chefs d’Etat-major les plus prestigieux de Tsahal, Itzhak Rabin, le 4 novembre 1995, parvenu à la conviction que la paix avec les Palestiniens était inéluctable ?

Puis, ils empoisonnèrent l’autre partenaire pour la paix, Yasser Arafat. Arrivé trop tardivement en France pour être sauvé, il mourut le 11 novembre 2004 à Clamart. Ariel Sharon était alors Premier ministre. 

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