Pourquoi l’hydre antisémite prospère-t-elle en France (et ailleurs…) ?

par Erwan Davoux
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Les actes antisémites connaissent une recrudescence importante en France. Un mois après le 7 octobre, 1159 actes antisémites avaient été relevés « trois fois plus qu’en 2022 », selon Gérald Darmanin. Il convient naturellement de retirer du total ceux perpétrés par des provocateurs afin de délibérément mettre en cause les « Arabes » ou les « Musulmans » ou encore ceux organisés par une puissance impériale en guerre qui souhaite voir la société française se disloquer.

L’antisémitisme est né en Europe et a été théorisé par des Européens, entre le milieu et la fin du XIXème siècle. Ce n’est que par la suite qu’il a été importé dans le monde arabe. Chacun reconnaît que les Juifs vivant sous domination arabe puis ottomane ont bénéficié d’un statut plus enviable que ceux vivant dans nombres d’Etats européens. L’antisémitisme était l’apanage de l’extrême droite européenne et française et simultanément, moins connue, existait une haine des sionistes extrémistes ou révisionnistes vis-à-vis de cette même extrême droite. Cette détestation réciproque était vivace en France il y a quelques années encore.

Les multiples condamnations de Jean-Marie Le Pen pour antisémitisme et ses propos récurrents sur le Shoah en sont la preuve intangible. La réciproque est vraie. Ainsi, le Betar se livra à une action d’une extrême violence, le 8 mai 1988 à Paris, à l’encontre de la manifestation traditionnelle d’hommage à Jeanne d’Arc. Plusieurs personnes (y compris des enfants) furent frappées à coups de barre de fer, parfois au visage. Une dizaine de militants sionistes sont alors interpellés les armes à la main, parmi lesquels Meyer Habib. Ce dernier sera condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et trois ans de mise à l’épreuve pour coups, violences volontaires et rébellion contre les forces de l’ordre. Une peine ramenée à un an avec sursis par la cour d’appel de Paris et confirmée en Cassation en 1992. Les huit victimes seront indemnisées par le fonds de garantie contre les actes de terrorisme.

L’influence des néoconservateurs américains et évangélistes a radicalement changé la donne au début des années 2000 

Un mouvement profond s’est produit au début des années 2000. Le rapprochement entre l’internationale des extrêmes droites et des droites extrêmes sur le conflit au Proche-Orient a été entamé au tournant des années 2000 sous l’impulsion néoconservateurs et des évangélistes américains : tous se sont unis dans une mouvance pro-juive et hostile à tout ce qui est arabe. L’Arabe a désormais remplacé le Juif (pour combien de temps ?) comme source de tous les maux.  Ainsi, ce même Meyer Habib, devenu député, se félicite aujourd’hui de voir son ennemi d’hier, le Rassemblement National (certes pas réductible au FN de l’époque) participer à « La marche contre l’antisémitisme ».

Meyer Habib et d’autres ayant tous comme priorité la défense des intérêts d’Israël ont trouvé une oreille plus que bienveillante auprès de nombreux politiques français (y compris la diplomatie française au sein de laquelle sévit une frange issue du PS, tendance atlantiste-néoconservatrice, qui ne cesse de ridiculiser la politique étrangère de la France). D’autant que beaucoup se contentent, pour se faire leur idée sur la question, de voyages de propagande, clés en mains. Beaucoup moins fastidieux, il est vrai que la lecture d’historiens reconnus et de se plonger dans la complexité du conflit israélo-palestinien. Israël a gagné la bataille de la communication auprès des dirigeants.

Ils se sont faits les VRP d’Israël « Etat démocratique, avant-garde de l’Occident » contre la « barbarie islamiste », avant-garde de la « Démocratie » contre les « régimes autoritaires ». Une erreur dans laquelle seuls peuvent tomber ceux qui n’ont pas remarqué l’évolution préoccupante de l’Etat d’Israël depuis une trentaine d’années.

LA DENATURATION DE L’ETAT D’ISRAËL PAR LES GOUVERNEMENTS NETANYAHOU

L’immigration russe massive pour développer les colonies et tuer le processus de paix, l’émancipation assumée des règles du droit international, la volonté de rabaisser des institutions telles que la Cour Suprême ou les journaux d’opposition tels que Haaretz.com, la disparation d’une vie politique bipartisane, la relation privilégiée de Benyamin Netanyahu avec Vladimir Poutine, l’alliance américaine devenue plus stratégique qu’affective, le soutien politique et militaire massif apporté au dictateur azerbaidjanais Aliyev dans le nettoyage ethnique au Haut-Karabagh alors que l’Arménie, berceau du christianisme, est menacée elle-même. A Jérusalem, les menaces répétées et les assauts des colons (avec le concours des forces de sécurité) à l’encontre du Patriarcat Arménien témoignent du caractère global de cette politique scandaleuse (par une sorte de schizophrénie, ceux parfois les mêmes qui soutiennent à la fois la cause arménienne et Israël sans s’apercevoir de la contradiction). Connaît-on une démocratie ou le dirigeant est au pouvoir depuis 27 ans avec, certes, quelques périodes d’interruption ? L’Etat hébreu ne garde des attributs d’un Etat démocratique à l’occidentale que l’élection. Il y a fort à parier que la solidarité d’Israël avec les Européens serait sujette à caution, en cas de confrontation avec les « empires autoritaires ».

La mort du parti travailliste, celui des Fondateurs de l’Etat d’Israël, troqué contre une place au gouvernement par Ehud Barak et la volonté revendiquée, dans le même temps, par la droite et l’extrême droite israélienne qui lui a succédé au pouvoir de faire d’Israël non plus un Etat-Nation israélien mais un «Etat-Nation du peuple Juif » (loi du 19 juillet 2018), l’influence ultrareligieuse au gouvernement, a favorisé l’antisémitisme. En effet, l’assimilation totale entre « Israël » et « Juif » qui en résulte fait que les agissements de l’Etat d’Israël sont considérés non plus comme imputables à un Etat étranger mais aux communautés juives de par le monde.

L’ASSIMILATION SIMPLIFICATRICE “JUDAISME” – JUIF” – “ISRAEL” – “NETANYAHOU”- SIONISME RELIGIEUX/REVISONNISTE EST DANGEREUSE

Cette dénaturation de l’Etat d’Israël, contraire au projet de ses pères fondateurs, entérinée par la plupart des membres de la communauté internationale revient à rendre responsables les communautés juives, dans leurs pays respectifs, responsables des agissements de l’Etat d’Israël, sans y prendre la moindre part. Or, si l’antisémitisme ne saurait être toléré, condamner ou s’opposer à la politique de l’Etat d’Israël, venue celle de Netanyahou, celle du sionisme religieux ou révisionniste, est bien entendu tout à fait acceptable et, pour certains, un devoir moral, tant elle viole le droit international et le droit humanitaire constamment considérant les Arabes comme des humains de seconde catégorie dont la vie n’a en réalité qu’une importance relative.

A SUIVRE….

Erwan Davoux est diplômé de l’IEP de Paris et de l’INALCO

Ancien chargé de mission à la Présidence de la République, il a conseillé de nombreuses personnalités politiques de droite à l’International

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