LE SUICIDE DE LA DROITE OU COMMENT EST-ON PASSÉ DE JACQUES CHIRAC A ÉRIC CIOTTI ? L’étrange défaite d’Alain Juppé – Episode 5

par Erwan Davoux
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« Alain Juppé a tout pour gagner mais son équipe de campagne est mauvaise », ce diagnostic est celui de Jean-François Copé, en juin 2016, lorsque je lui rends une visite de courtoisie, peu de temps après mon investiture aux législatives. Ce rappel brutal m’ébranle d’autant plus que je connais la lucidité de Jean-François Copé (sauf peut-être quand il est, lui-même, directement concerné, comme tout un chacun) et que moi-même, au sein de l’équipe Juppé, je ne sens pas une grande dynamique. Seul des sondages éternellement rassurants semblent faire office de boussole.

Juppé, le dernier des chiraquiens historiques

J’ai toujours pensé qu’un alliage Juppé-Copé serait irrésistible, entre deux générations de chiraquiens. JFC apportant à AJ du dynamisme et un encrage à droite qui lui faisaient défaut. Je m’en suis ouvert à JFC lorsque j’étais son conseiller diplomatique, bien avant la Primaire. Il me répondait alors « Erwan vous faites l’international, vous le faites bien, laissez-moi la politique ».

Lorsqu’Alain Juppé annonce sa candidature à la Primaire, le 20 août 2014, il est clair pour moi qu’il devient mon candidat. Il est aussitôt adoubé, une nouvelle fois par Jacques Chirac, le 2 octobre 2014 j’ai toujours su qu’Alain Juppé serait au rendez-vous de son destin”.

Entrer au service d’Alain Juppé ne fut pas chose aisée car je n’étais pas un de ses anciens collaborateurs. Je le fis grâce à Vincent Leroux, l’un de ses principaux conseillers avec Gilles Boyer. On me confia alors la responsabilité des Français de l’étranger, l’international (parmi des diplomates chevronnés) et la préparation des déplacements à l’étranger avec celui qui était de Chef de Cabinet, David Teillet. J’aurai l’occasion, dans un article ultérieur, consacré à « Alain Juppé à l’international et auprès des Français de l’étranger », de revenir précisément là-dessus.

Un début de campagne modeste mais dynamique

Le militant que je fus, entrait au sein d’une équipe encore très réduite qui occupait de forts modestes locaux de campagne, rue de Lille. J’appris à découvrir alors celui qui fut une des idoles de ma jeunesse. Alain Juppé était bien cet homme d’Etat dont la principale préoccupation était l’intérêt général et l’intérêt national. Une évidence, peut-être, pour un politique. Mais une espèce désormais en rupture de stock. Je découvris aussi que les reproches d’une certaine froideur, de peu de chaleur humaine étaient avant tout l’expression d’une grande pudeur et d’une sensibilité introvertie.

La première partie de campagne, rue de Lille, d’une équipe resserrée où la plupart des participants étaient bénévoles, fut certainement la plus réussie. Une période où les convictions primaient, celle de la construction d’une équipe. La modestie était de mise. Peu de moyens mais beaucoup d’envie. Les volontaires affluaient estimant qu’Alain Juppé était le tenant d’un retour à la droite gaullo-chiraquienne qui manquait déjà cruellement à la France. Un homme d’Etat qui gérerait la France de manière non partisane et mettrait fin au clivage permanent et à la course effrénée derrière le FN.

La professionnalisation ratée

Le changement de locaux, l’emménagement Boulevard Raspail au début de l’année 2016 rendu nécessaire par la montée en puissance de la campagne mais aussi l’arrivée d’opportunistes à tout crin, marqua symboliquement le début de la fin. L’ambiance changea singulièrement La professionnalisation non réussie fit perdre son âme à cette campagne.

Une campagne technocratique s’engagea sous un mode classique ou de hauts-fonctionnaires énumèrent des mesures dont aucune ne marqua l’opinion. Un catalogue de bonnes intentions pour un mauvais discours de politique générale. J’avoue ne pas avoir été au bout de « pour un Etat fort » ni de « Mes chemins pour l’école ». Non que la sincérité du candidat ne soit en cause, bien évidemment, mais tout cela manquait de flamme, d’idées percutantes.

Juppé RPR, vraiment ?

Un reniement du passé d’Alain Juppé fut systématiquement organisé durant cette deuxième partie de campagne, pas question de mentionner qu’il fut Secrétaire Général puis Président du RPR, comme si ceux qui ne l’avaient pas vécu voulaient gommer cette partie pourtant constitutive de ce qu’est AJ. Cette époque ou Alain Juppé prenait des coups et les rendaient avec vigueur. Une seule fois durant cette campagne je retrouvais l’Alain Juppé de ma jeunesse extrêmement combattif : lorsque Nicolas Sarkozy rappela fort peu élégamment son passé judiciaire, Alain Juppé lui rétorqua qu’« en la matière, il valait mieux avoir un passé qu’un avenir ». L’ancien Président ne s’aventura plus jamais sur ce chemin.

Le choix du directeur de campagne, Gilles Boyer, fût-il le meilleur ? Hervé Gaymard, Benoit Apparu ou Edouard Philippe auraient certainement fait l’affaire mais en avaient-il envie ? Et Alain Juppé leur demanda-t-il suffisamment fortement ?

Cette désignation ne fit qu’intensifier les tensions entre ceux arrivés par Vincent Leroux et ceux venant par Gilles Boyer. Ce dernier a certainement un vrai talent pour se rendre indispensable aux hommes politiques qu’il sert. Un peu moins, peut-être, pour diriger une campagne en raison d’un caractère peu enclin à aller vers les autres.

La ligne de cette campagne, dont Gilles Boyer ne porte, bien entendu, pas seul la responsabilité, se fixa à l’exact opposé de ce que fut le RPR. Une ligne politique centriste qui sera fatale à Alain Juppé.  Le retour en force de François Bayrou eut un effet répulsif certain, tant cette personnalité portait, pour l’électorat de droite, la responsabilité de la défaite de Nicolas Sarkozy. Un silence total de François Bayrou, durant la Primaire (mais non l’élection présidentielle) était ce qui aurait pu arriver de mieux à AJ. Dénigrer systématiquement tout ce qui était UMP puis LR fut indubitablement une grande erreur dans une Primaire de droite. D’autant que de nombreux « comités AJ » s’avérèrent être des coquilles vides.

Une campagne défensive visant à gérer un pseudo avantage

La stratégie essentiellement défensive qui consistera pendant toute la campagne à maintenir un pseudo avantage, à se limiter à gérer une image positive dans l’opinion et une avance supposée dans les sondages, fut une erreur. Un peu comme une équipe de football qui l’a emporté par un but d’écart au match aller et joue le retour en essayant d’éviter de prendre un but. Il est rare que cela fonctionne. Lors de toute élection majeure, il faut susciter une envie, un élan, un espoir. Etre le « meilleur d’entre eux » ne signifie presque jamais (hélas) gagner.

Les accusations de complaisance avec l’islamisme et de naïveté non traitées

Personne ne pris sérieusement en compte les attaques contre « Ali Juppé », « la grande mosquée de Bordeaux », « le mufti de Bordeaux ». Ces accusations de complaisance avec l’islamisme ne furent pas combattues tout comme celles déformant et dénigrant le concept d'”identité heureuse”. Ce concept fut présenté tel un constat naïf et coupé des réalités alors qu’il s’agissait d’un objectif à atteindre dans une France qui aurait retrouvé cohésion sociale et nationale.

J’attirais l’attention plusieurs fois l’attention de Gilles Boyer et d’Aurore Bergé (en charge des réseaux sociaux) sur ces attaques. La réponse fut toujours que cela n’aurait aucun impact, « seuls les imbéciles pouvant croire ce genre de choses ». Alors que nous étions en réalité confrontés à une entreprise de déstabilisation majeure qui n’avait aucun caractère amateur. Organisée sur les réseaux sociaux par l’extrême droite identitaire mais aussi par les relais en France d’un gouvernement qui massacre aujourd’hui les Palestiniens. Pour une raison simple : faire barrage à ceux qui ne sont pas frénétiquement antimusulmans. Il est cocasse de voir aujourd’hui certains élus “Renaissance” et “Horizons” soutenir Netanyahou. Ont-ils jamais eu des convictions sincères ? Organisée probablement aussi par certains services de renseignements étrangers qui misaient sur Nicolas Sarkozy. En effet, Alain Juppé était une cible privilégiée, dernier chiraquien et s’inscrivant dans la ligne gaullo-mitterrando-chiraquienne de la diplomatie française. Celle abandonnée en partie par Nicolas Sarkozy et complètement dès l’élection de François Hollande.

Une séquence révélatrice

Pire encore, loin de combattre cette ingérence/propagande malsaine, un très proche d’Alain Juppé apportera de l’eau au moulin à cette thèse. Ainsi, un jour, il me demanda de prendre contact avec l’équipe de Rached Ghannouchi, chef d’Ennahdha en Tunisie, qui se rendait en France et souhaitais rencontrer Alain Juppé. J’y opposais un refus virulent, faisant jouer « ma clause de conscience ». Ayant grandi dans la Tunisie de Bourguiba, j’avais précisément en tête les méfaits, délits et crimes de Ghannouchi et ses comparses qui jetaient, par exemple, du vitriol au visage des femmes non voilées, dans les années 80. Condamnés à mort par Bourguiba, ils trouvèrent refuge au Londonistan, avant de revenir pavoiser en Tunisie après la chute de Ben Ali. Je m’opposais jusqu’au bout, ne pris jamais contact et cet entretien n’eut jamais lieu. Dans le même temps, François Fillon publiait « Vaincre le totalitarisme islamique » dont je ne partage pas toutes les thèses (notamment son idée d’alliance avec le Hezbollah, l’Iran, la Syrie et donc la Russie) mais certainement plus judicieux dans une campagne de droite.

Des lieutenants peu combatifs

Edouard Philippe ne manifestera pas, durant cette primaire, tout le talent et la finesse politique dont il fit preuve à Matignon. Benoit Apparu, peut-être le plus politique des lieutenants d’Alain Juppé, fut surnommé, par certains,« Benoit Disparu ». Je ne peux que partager le diagnostic de Virginie Calmels selon lequel se fut « un paradoxe de voir ceux qui ont participé à la défaite d’Alain Juppé à Matignon », en 2017. J’ajouterai que certains rejoignirent directement la Macronie sans passer par la case Edouard Philippe. Celles et ceux dont l’opportunisme débridé ne s’encombre pas de pudeur et tellement pressés de sortir d’un anonymat qui leur allait à ravir.

D’ailleurs est-ce une pure coïncidence si Emmanuel Macron annonça sa candidature cinq jours avant le premier tour de la Primaire de la droite ? Alors que la campagne Juppé était en extrême mauvaise posture et que le Blitzkrieg Fillon emportait tout sur son passage ? N’était-ce pas proposer aux centristes un deal avec une personnalité neuve et plus jeune et couper ainsi l’herbe sous le pied à Alain Juppé ? A quand remontent les échanges entre certains membres de l’équipe Juppé et la Macronie ?

Les dynamiques croisées Fillon et Macron fatales à Alain Juppé

Chacun cherchait à se rassurer en estiment que la dynamique Fillon était trop tardive pour inverser le cours des choses. La défaite fut un choc brutal pour Alain Juppé car elle ne se manifesta que dans le dernier mois d’une campagne qui aura duré deux ans et durant laquelle il fit, en théorie, la course en tête. Une épreuve d’une cruauté humaine inouïe pour un homme qui aura servi la France pendant 40 ans et échouera à franchir la dernière marche qui lui était promise. D’un point de vue personnel, j’eu la très maigre consolation de voir AJ l’emporter très largement auprès des Français de l’étranger.

En plus des éléments internes à la campagne déjà mentionnés, deux autres facteurs jouèrent contre Alain Juppé.

La réalité était que Nicolas Sarkozy[1] et lui s’étaient neutralisés, déroulant un tapis rouge au 3ème homme qui aurait pu jeter l’éponge si on l’avait assuré d’une place dorée, telle que la Présidence de l’Assemblée Nationale, au moment où il était à 8% dans les sondages. Mais tout le monde le négligea ou même le mit sur un piédestal dans la perspective du 2nd tour, sans même jeter un œil à son programme.

L’autre explication fut le million de votants supplémentaire par rapport à ce qui était attendu. Je fus l’un des représentants d’Alain Juppé à La Haute Autorité de la Primaire (HAP) présidée par Anne Levade. Je l’interrogeais suite au scrutin perdu. « Alors quand est-ce que l’on organise la vraie Primaire, celle qu’Alain Juppé doit gagner « ? Elle me répondit, « la masse des électeurs non attendus est constituée principalement des catholiques pratiquants sortants de la messe et qui ont tous votés Fillon ». Il est certain qu’une campagne laissant fleurir « Ali Juppé », centriste, avec des relents bobos n’était pas susceptible de séduire cet électorat. L’impression amère qu’il me restera est qu’Alain Juppé aura perdu sans vraiment livrer bataille.

Une deuxième opportunité se présentera pour Alain Juppé, j’aurais l’occasion d’y revenir lors d’un prochain article consacré à la campagne des Primaires victorieuse de François Fillon.


[1] Cf Petite histoire du suicide de la droite où comment est-on passé de Jacques Chirac à Eric Ciotti ? | Geopolitics.fr “Le retour totalement manqué de la rock star Sarkozy”

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