Sous couvert de politique de lutte européenne contre les migrations irrégulières, l’Allemagne vient de signer il y a quelques semaines et très discrètement, un accord avec le Kenya. Ledit accord devra permettre à 250 000 travailleurs kenyans qualifiés et semi-qualifiés de s’installer en Allemagne. Schizophrénie ou realpolitik ?
L’Allemagne fait fi de son appartenance à l’Union Européenne
Le double discours des dirigeants allemands, vient mettre à mal la politique européenne de solidarité en matière de migrations. Plus encore, cette nouvelle position porte un coup au bon vieux traité de Schengen signé en 1985, pour ensuite être revu et corrigé en 1990, et finalement être noyé dans la litanie du droit de l’Union européenne du traité d’Amsterdam en1999. Et il n’est pas inutile ni anodin de rappeler que la mise en œuvre des normes de l’espace Schengen prévoit : « l’élimination des contrôles frontaliers entre les membres de l’espace Schengen et un renforcement des contrôles frontaliers entre les membres de l’espace Schengen et ceux qui n’en sont pas membres (frontières dites « extérieures »). Enfin, cela implique des dispositions concernant une politique commune sur le séjour temporaire des personnes (dont le visa Schengen, jusqu’à trois mois), l’harmonisation des contrôles aux frontières extérieures, une coopération policière transfrontalière et une coopération judiciaire ». Fermez le banc.
En matière d’immigration, le chancelier allemand Olaf Scholz adopte un discours plus qu’ambigu, pour ne pas dire contradictoire à la ligne de l’Union Européenne. Politique intérieure oblige, d’une main ce dernier caresse le renforcement du contrôle des frontières visant à freiner l’immigration illégale, de l’autre, signe un accord avec le gouvernement Kenyan afin de recruter 250 000 ouvriers majoritairement anglophones. L’on aura bien compris, cet accord vise à répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs de l’économie fédérale allemande. Un double langage tentant de satisfaire les besoins économiques de toutes les régions du pays d’une part, tout en apportant une réponse aux préoccupations nationalistes sur la question de l’immigration. Surtout après le succès de l’extrême droite lors des élections régionales en Thuringe, le 1er septembre dernier.
Ce partenariat stratégique vise donc clairement à pallier la pénurie croissante de main- d’œuvre en Allemagne, principalement dans les emplois sous-qualifiés, tout en offrant de nouvelles opportunités aux jeunes kenyans, avec une promesse du moins sur le papier : améliorer leurs compétences par la formation professionnelle. Pourquoi pas.
La signature de cet accord, qui a eu lieu à la Chancellerie de Berlin, confirme d’excellentes relations diplomatiques et de coopérations entre les deux pays.
Le chancelier allemand Olaf Scholz, souligne dans un communiqué laconique l’importance de cet accord en déclarant : « Un accord très important de mon point de vue. Il ouvre des perspectives aux Kényans, car les travailleurs qualifiés ou les jeunes peuvent venir se former en Allemagne. Cela peut nous aider à compenser le manque criant de main-d’œuvre ». La messe est dite, sans manquer de clarté il faut le reconnaitre.
En vérité, ce partenariat est fort opportun à un moment crucial pour l’Allemagne fédérale, confrontée à un vieillissement démographique galopant (NDLR : avec un âge médian de 46 ans), et cherchant des solutions afin de pourvoir ses deux millions d’emplois vacants.
Berlin et Nairobi allume la mèche d’une controverse au cœur des politiques migratoires européennes
Le Président kenyan William Ruto, met également en avant les avantages de cet accord pour son pays. Ainsi ce dernier a-t-il appuyé non sans une certaine arrière-pensée tant diplomatique qu’économique : « Aujourd’hui, nous célébrons la signature de cet accord de partenariat global sur la migration et la mobilité de la main-d’œuvre qui fournira un contexte pour l’expansion des relations entre nos deux pays, les relations de personne à personne, et qui nous donnera l’occasion de libérer le potentiel de la technologie en Allemagne et du capital humain au Kenya, où nous avons un grand nombre de jeunes éduqués, innovateurs et travailleurs. » Pour le dirigeant africain donc, cette initiative offre au Kenya une opportunité précieuse pour ses jeunes talents, tout en répondant aux besoins de l’Allemagne. Deal !
Cependant, cet accord n’est pas sans controverse sur les deux continents. En effet, l’opposition tant politique qu’intellectuelle kenyane y voit une autre conséquence possible : « la fuite des cerveaux », où des professionnels particulièrement qualifiés pourraient quitter le pays pour quelques eldorados étrangers, appauvrissant de facto les secteurs clés en développement au Kenya.
Vers une politique de l’immigration choisie ?
L’Union européenne sera-elle inspirée par d’autres modèles, dont un certain nombre auront démontré leur efficacité ?
Au Canada par exemple, trois programmes fédéraux sont en place et revus et corrigés par le gouvernement par période biennale, principalement sur le nombre humain plus que sur la procédure. Ainsi, la « porte d’entrée » la plus utilisée est celle intitulée « d’entrée express ». Mais attention, les conditions sont claires, nettes, précises et inconditionnelles : pour être admissibles, les candidats à l’exil doivent remplir toutes les exigences minimales telles que l’expérience de travail qualifié, les études, les compétences linguistiques. Et sur cette dernière, le principe est clair : le candidat devra se soumettre à des tests de langue approuvés en français ou en anglais, notamment s’agissant de l’écriture, de la lecture, de la compréhension de l’oral et de l’expression orale.
Enfin, si le postulant coche ces premières cases minimales, l’Office gouvernemental des migrations appréciera l’admissibilité au Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) en fonction de l’âge, de l’expérience de travail, le fait de détenir une offre d’emploi valide, de la faculté d’adaptation (NDLR : à quel point vous pourrez bien vous établir ici), et plus encore de la démonstration de disposer des fonds suffisants pour s’établir au Canada.
Plus près de nous, côté Suisse, les règles sont claires pour les candidats à l’installation : soumis ou non à l’obligation de visa, la durée d’un premier séjour sans activité lucrative est de trois mois au plus. Dans l’hypothèse d’une installation plus longue à terme, ce qui bien entendu est l’objectif d’une migration, le postulant devra déposer une demande d’autorisation de séjour auprès de l’autorité cantonale des migrations du lieu de résidence envisagé, théoriquement avant d’entrer sur le sol helvétique.
Là encore, ne jouira pas de l’exceptionnel climat alpin qui veut. Car être autoriser à s’établir, du moins légalement, impose obligatoirement de disposer de ressources suffisantes assurant l’indépendance financière et ne pas devoir recourir à des prestations sociales, être bénéficiaire d’une assurance-maladie couvrant aussi les coûts engendrés par la nécessité de soins et par des accidents éventuels, et disposer d’un logement approprié à sa situation personnelle. S’agissant des étudiants étrangers, ces derniers doivent en outre joindre les documents suivants à leur demande : un plan d’études personnel précisant en détails l’objectif desdites études, la preuve d’admission dans un établissement d’enseignement reconnu (attestation d’immatriculation), un curriculum vitae, mais surtout la confirmation qu’ils quitteront la Suisse à l’issue de leur formation.
D’un côté ou de l’autre de l’atlantique, la liste des pays ayant mis en place pareille procédure et conditions d’immigration, serait trop longue à développer.
Au sein même de l’Union européenne, un certain nombre d’Etats tels que la Hongrie de Viktor Orbán ou bien encore l’Italie de Giorgia Meloni, ont d’ores et déjà resserré les mailles de leurs filets frontaliers, générant moultes débats au sein des institutions bruxelloises, strasbourgeoises.
A bas mots et alors que l’Europe est fort divisée sur le sujet de ses frontières et de sa capacité d’accueil, quel modèle ou plutôt quelle politique, l’emportera ?